Espace européen de la recherche : l’intelligence circule, la science avance

Institutionnel

A la fois structurant et invisible, l’Espace européen de la recherche façonne la circulation des idées et des talents. Le CNRS y joue un rôle moteur.

En 2000, les États membres de l’Union européenne adoptaient la Stratégie de Lisbonne qui stipulait, entre autres, de consacrer 3 % du PIB aux dépenses de recherche et de développement. La Stratégie de Lisbonne abrite une dimension moins connue : elle pose les principes de l’Espace européen de la recherche (EER). Les chefs d’État et de gouvernement s’entendaient alors pour « mieux intégrer et coordonner les activités de recherche au niveau national et au niveau de l'Union » afin que celles-ci soient « aussi efficaces et novatrices que possible » et permettre ainsi à l’Europe d’offrir des perspectives attrayantes à « ses meilleurs cerveaux ». « Il convient d'exploiter pleinement les instruments prévus par le traité et tous les autres moyens appropriés, y compris des accords volontaires, pour réaliser cet objectif de manière souple, décentralisée et non bureaucratique », déclaraient-ils.

L’idée : « créer un marché unique de la recherche, sur le modèle de celui des biens et des services, où connaissances et scientifiques circulent librement », détaille Anna Grimault, chargée de mission au ministère de l’ESR pour l’EER. « Il s’agit d’un espace de cohésion européen qui s’appuie à la fois sur des valeurs partagées, et sur un écosystème de recherche et d’innovation qui facilite la libre circulation des scientifiques, du savoir, la science ouverte, promeut l’égalité des genres, la diversité et la liberté académique », détaille le directeur de la direction Europe et international du CNRS, Alain Mermet. « Cet espace commun est en perpétuelle évolution, sa construction prend du temps », poursuit-il prenant en exemple l’objectif 3% du PIB consacré à la R&D qui n’est toujours pas atteint un quart de siècle plus tard.

« L’Espace européen de la recherche peine encore à exister dans les esprits : c’est un projet à la fois structurant et invisible », poursuit de son côté Anna Grimault qui est notamment chargée de représenter le ministère au Forum de l’EER, qui a été créé dans le cadre de la réforme de l’EER amorcée avec une Communication de la Commission européenne en 2020 et l’adoption, en 2021, d’un « Pacte pour la recherche et l’innovation » autour de quatre axes : donner la priorité aux investissements et aux réformes conjoints, améliorer l’accès à l’excellence à travers l’Union, relever les défis de la transition écologique et numérique, et approfondir l’Espace européen de la recherche. « Un plan stratégique avec dix-neuf actions auxquelles les États choisissent ou non de participer traduit ce pacte en termes concrets », poursuit la chargée de mission. Égalité de genre, science ouverte, réforme de l’évaluation de la recherche, amélioration des carrières de recherche figurent parmi ces mesures. « Un plan stratégique avec quatorze actions auxquelles les États choisissent ou non de participer traduit ce pacte en termes concrets », poursuit la chargée de mission. Investissement, science ouverte, réforme de l’évaluation de la recherche, amélioration des carrières de recherche figurent parmi ces mesures. C’est dans cette dynamique qu’a été créée, fin 2022, la Coalition pour l’Avancement de l’Évaluation de la Recherche (CoARA), au comité de pilotage de laquelle figure Sylvie Rousset, directrice des données ouvertes de la recherche du CNRS.

Capitaliser sur les infrastructures

Gage de l’importance de l’EER pour le CNRS, son « position paper » pour le 10e programme-cadre de recherche et d’innovation, destiné à succéder à Horizon Europe en 2028, maintient « son engagement à réduire les disparités au sein de l’Espace européen de la recherche », souligne Alain Mermet pour qui « cet objectif doit être sans cesse réaffirmé ». Il juge à ce titre « essentiel de capitaliser sur les infrastructures de recherche, qui sont des éléments structurants, catalyseurs et attractifs de l’EER ». « L’ investissement européen en matière d’infrastructures doit  intégrer les investissements et les feuilles de routes nationales ainsi que les accords internationaux », déclare-t-il. 

Il souligne que l’EER « est aujourd’hui visible et concret ». « Nous partageons un espace commun avec nos partenaires européens, nous faisons de la recherche au quotidien avec eux, ce qui est un élément clé de la structuration de l’EER. Soit parce qu’elles rassemblent des expertises très pointues soit parce qu’elles incarnent des joyaux technologiques, les infrastructures de recherches européennes attirent des chercheurs et chercheuses du monde entier », à l’image des grandes installations telles que le CERN ou l’ESRF « qui attirent des scientifiques internationaux de haut niveau ». 

Il estime aussi que l’Espace européen de la recherche « devrait avoir pour vocation, notamment à travers les réseaux d’excellence, de construire des masses critiques de scientifiques autour de thématiques scientifiques fortes, y compris dans des domaines émergents ». En France, poursuit-il, les PEPR (Programmes et Équipements Prioritaires de Recherche)1 , qu’ils soient exploratoires ou liés à l’accélération de certaines technologies, « s’inscrivent dans cette logique » et « un travail reste à mener pour mieux articuler les programmes nationaux avec la dimension européenne, afin de structurer des réseaux solides de scientifiques à l’échelle de l’Union européenne, capables de porter ces priorités stratégiques à l’échelle internationale ».

De Widening ERA aux Actions Marie Sklodowska-Curie 

La mise en œuvre de l’Espace européen de la recherche, « s’appuie sur le programme-cadre de recherche et d’innovation » Horizon Europe, poursuit la chargée de mission. « Le volet Widening ERA2  comprend ainsi cet objectif de financer des projets de coordination, des réseaux de professionnels du management de la recherche, ainsi que des études sur les carrières des chercheurs et des chercheuses ». Elle souligne que le CNRS répond à plusieurs appels à projets dans ce cadre, « par exemple dans le domaine de l’égalité des genres ». Widening ERA est le principal programme d’Horizon Europe pour financer des actions relevant de l’Espace européen de la recherche mais d’autres instruments tels que les actions de mobilité des chercheurs « sont tout à fait dans l’esprit de l’EER », ajoute-t-elle.

Il en est ainsi du programme d’Actions Marie Sklodowska-Curie (MSCA) qui finance la mobilité internationale, la formation et le développement de carrière des chercheurs à travers des projets de recherche collaboratifs ou individuels en Europe et au-delà depuis bientôt 30 ans. Elles ont déjà permis d’accompagner 65 000 chercheurs et chercheuses sous Horizon 2020, et Horizon Europe est en passe de réitérer ce succès.  Comme le souligne Alain Mermet, « le CNRS en est à la fois le premier bénéficiaire et le premier pourvoyeur européen», totalisant près de 900 lauréats MSCA depuis 2014 .

  • 1Les PEPR, lancés dans le cadre du plan pour les technologies de demain, France 2030, visent à renforcer la place de la recherche française dans des domaines scientifiques cruciaux pour les transformations technologique, économique, sociétale, sanitaire et environnementale.
  • 2Le volet « Widening ERA » d’Horizon Europe permet de financer des projets européens visant à réduire les écarts de performance en recherche et innovation entre les États membres, en renforçant les capacités scientifiques des pays moins bien dotés

« Choose Europe for Science » : l’Europe mise sur l’attractivité scientifique

Le 5 mai 2025, la commissaire européenne, Ursula von der Leyen et le président de la République, Emmanuel Macron ont lancé à la Sorbonne l’initiative « Choose Europe for Science », pour faire de l’UE un refuge et une terre d’opportunités pour les chercheurs du monde entier, dans un contexte de régression des libertés académiques ailleurs.

Un plan de 500 M€ sur 2025-2027 accompagne cette ambition, avec trois leviers :
– des « super-grants » ERC de 7 ans pour les talents confirmés ;
– le doublement des aides à la mobilité pour les chercheurs étrangers ;
– un programme pilote MSCA pour sécuriser les parcours postdoctoraux vers des postes stables.

Le CNRS, qui a lancé le 24 avril dernier son programme « Choose CNRS », partage ainsi pleinement l’ambition de « Choose Europe for Science » : offrir un environnement stable, ouvert et attractif pour les chercheurs du monde entier, tout en défendant la liberté académique. 

« Les projets MSCA sont des projets de recherche fortement axés sur la mobilité et la formation des scientifiques à tous les stades de leur carrière et dans tous les domaines, ce programme permet d’attirer des talents en Europe », souligne Chloé Richard, ingénieure de projets européens au CNRS et membre du point de contact national MSCA. Elle rappelle ainsi que, « dans toutes les actions MSCA prévoyant un recrutement, la règle de mobilité s’applique : les chercheurs recrutés ne peuvent pas avoir passé plus d’un an, au cours des trois dernières années, dans le pays de l’entité légale qui va les accueillir ». Une dimension de mobilité internationale « qui contribue à la construction de l’Espace européen de la recherche ». Par ailleurs, « la formation vise l’excellence, en formant les futures générations d’experts dans un domaine spécifique à l’échelle européenne » et « les salaires proposés sont très attractifs afin d’attirer les meilleurs talents en Europe » - un coefficient correcteur permet de les adapter au niveau de vie des différents pays.

Du MSCA à l’ERC

Parmi ces lauréats figure la biologiste Jeanne Tonnabel. En 2020, elle quitte son poste à l’université de Lausanne en Suisse, pour rejoindre le Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive à Montpellier grâce à une bourse Marie Sklodowska-Curie. Deux ans plus tard elle intègre le CNRS comme chargée de recherche. Jeanne Tonnabel assure que cette bourse, outre un salaire intéressant, lui a permis de développer sa carrière, et a facilité à la fois son recrutement au CNRS, à la fois son succès aux appels ERC : elle a ainsi obtenu une bourse « starting grant » en 2022. Elle estime que sa bourse MSCA lui a offert « beaucoup de flexibilité » pour mener son propre programme de recherche et lui a permis de « consolider des résultats » qui ont servi de base à sa candidature à l’ERC. 

La chercheuse explique aussi que, parmi les raisons qui l’ont poussée à se tourner vers les programmes européens, a aussi compté « l’impression qu’étaient mises en place des politiques actives en faveur de l’égalité entre les sexes ». Une dimension importante pour celle qui témoigne avoir « vécu des expériences difficile à l’université ». « Même si ces programmes sont plus difficiles à obtenir, le fait de savoir que j’avais autant de chances qu’un homme et que la sélection prenait en compte l’équité m’a motivée », souligne-t-elle, évoquant « un choix délibéré ».

La Commission européenne sera aussi chargée de proposer un cadre législatif, un texte attendu pour la mi-2026, qui « poserait des standards communs, notamment en termes de carrière » et serait légalement contraignant pour les États membre, explique Anna Grimault. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a récemment évoqué cette réforme en cours, annonçant qu’elle serait l’occasion d’inscrire la liberté académique dans la loi européenne : une façon, pour elle, de mettre en avant les valeurs de l’Union européenne pour attirer les scientifiques, notamment ceux empêchés de mener leurs travaux par la nouvelle administration fédérale américaine de Donald Trump.