Quand la recherche partenariale guide l'innovation vers un béton moins polluant

Innovation

Le laboratoire commun MC2E entre Ecocem, le CNRS et l’ENS Paris-Saclay, travaille depuis 2017 pour réduire l’impact carbone du ciment en remplaçant certains de ses composants traditionnels les plus polluants. Retour sur la genèse de la collaboration et ses premiers résultats.

Est-il possible de réinventer le béton afin de le rendre plus vert ? Responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, l’impact environnemental du béton tient majoritairement à la production de ciment qui le constitue en moyenne à hauteur de 75 %. En cause : le fameux clinker, un de ses composants, obtenu en brûlant des roches calcaires dans un four. Ce procédé a des effets environnementaux comparables à la calcination du charbon. Depuis 2017, le laboratoire commun Matériaux cimentaires éco-efficaces (MC2E) entre la société Ecocem, le CNRS et l’ENS Paris-Saclay fait le pari audacieux de repenser les ingrédients pour aboutir à un béton bas carbone. Il s’appuie pour cela sur des expertises en sciences des matériaux.

Des relations fortifiées avec le temps

 
« Quand je suis arrivé il y a dix ans pour développer l’innovation au sein d’Ecocem, nous n’avions aucune capacité de recherche. C’était donc très intéressant de pouvoir s’entourer d’un environnement universitaire dès le départ et de former des jeunes dans la perspective de les recruter », témoigne Laurent Frouin, directeur de l’innovation d’Ecocem. Dans un schéma assez classique, les différents partenaires ont collaboré pendant plusieurs années sous forme de co-encadrements de thèses et de stages avant d’opter pour la création d’un laboratoire commun. « Des résultats intéressants et applicables commençaient à émerger. Ce format a renforcé notre collaboration d’un point de vue institutionnel », rapporte Mohend Chaouche, responsable scientifique du MC2E et chercheur au Laboratoire de mécanique Paris-Saclay (LMPS, Unité CNRS/CentraleSupélec/ENS Paris-Saclay).

Dans ce cadre, l’industriel apporte des problématiques fondamentales aux académiques. De fait, les liants du béton doivent avoir des propriétés rhéologiques bien définies pour assurer sa stabilité. Changer certains ingrédients de la recette du ciment impose donc de trouver des matériaux de substitution adaptés, de les tester et de les optimiser. Ces va-et-vient permanents entre recherche et application cassent les codes d’innovation de l’industrie cimentière et lui apportent une nouvelle façon de faire. « Le secteur suit depuis toujours une approche essai-erreur qui ne permet pas de comprendre les propriétés des recettes qui fonctionnent ou non », décrit Laurent Frouin. « On mène en quelque sorte des enquêtes policières dont l’objectif est d’identifier la cause des problèmes pratiques selon différents matériaux et pas seulement ceux qui semblent les plus pertinents à première vue. L’idée est d’aboutir à la meilleure solution », ajoute Mohend Chaouche.

Du laboratoire au chantier


« Nous confions au laboratoire commun les sujets clés qui sont au cœur de la stratégie de R&D d’Ecocem de sorte que, sans lui, on ne pourrait pas innover comme nous le faisons aujourd’hui », insiste Laurent Frouin. Et la stratégie est payante, car les travaux du labcom ont mené à deux produits. Un premier ciment utilisant les laitiers de haut-fourneaux - des déchets de métallurgie - a réduit de 70 % l’impact carbone du béton qu’il compose. « Cette solution existait au niveau académique depuis longtemps, mais elle ne sortait pas vers des applications. Nous avons su l’adapter aux problèmes pratiques du secteur », explique Mohend Chaouche. Ce ciment a depuis été utilisé dans diverses constructions, dont les chantiers du Grand Paris et des Jeux Olympiques 2024. 

Toutefois, ces déchets sont par essence limitée et ne sauraient offrir une solution viable à l’échelle mondiale. Entre alors en jeu un second produit - initié lors de travaux de thèse en 2017-  qu’Ecocem envisage de distribuer auprès de ses clients dès 2025. Le clinker ne contribue plus qu’à hauteur de 20 % du ciment (contre 75 % habituellement) et l’eau nécessaire à la fabrication du béton est divisée par deux. « Par la suite, nous voulons baisser davantage cet impact carbone jusqu’à le réduire à néant. Pour cela, nous allons étendre la gamme de matériaux potentiels », précise le chercheur. À l’industriel d’ajouter : « À travers ce partenariat public-privé, nous montrons que malgré les idées reçues, il est possible de décarboner l’industrie du ciment, et ce, dès maintenant et sans modifier les infrastructures et équipements existants, et ainsi agir efficacement face à l’urgence climatique ».