Ambassadeurs de l’innovation : susciter le futur au cœur du CNRS
Et si l’innovation se diffusait par capillarité, de chercheur à chercheur ? C’est le pari du réseau des ambassadeurs de l’innovation, lancé par le CNRS en 2024 à VivaTech. Témoins d’expériences concrètes, ces scientifiques engagés incarnent une innovation vivante, ancrée dans la recherche et ouverte à la société.
Incarner l’innovation au quotidien
Témoigner, plutôt que prescrire. C’est la raison d’être du réseau des ambassadeurs, copiloté par deux scientifiques aguerris à la valorisation, Sophie Demolombe, déléguée scientifique auprès du Directeur général délégué à l’innovation (DGDI) et experte senior en transfert de technologies à la Direction scientifique de CNRS Innovation, et Hervé Vezin, directeur de recherche au CNRS, Directeur du Laboratoire Avancé de Spectroscopie pour les Interactions, la Réactivité et l’Environnement1
et délégué scientifique à la Direction des Relations avec les Entreprises (DRE).
« L’innovation constitue un prolongement naturel de la recherche fondamentale et de l’excellence scientifique. Il n’y a pas d’innovation sans recherche fondamentale de qualité. Prenez le vaccin contre la Covid : 25 ans de recherche sur les ARN messagers ont été nécessaires », pose d’emblée Sophie Demolombe. « Le rôle des ambassadeurs, c’est de raconter leur propre cheminement : comment ils sont passés de la recherche fondamentale à une dynamique de valorisation, quelles barrières ils ont rencontrées, ce qui a fonctionné ou pas. Ce sont des témoins incarnés et non des experts ou des porte-parole institutionnels », explique Hervé Vezin.
Les qualités attendues ? Une expérience confirmée de valorisation, une capacité à communiquer clairement et une envie réelle de transmettre.
Le principal frein à l’innovation, identifié par les deux animateurs du réseau, est le facteur temps. « Dans une démarche d’innovation, il importe de savoir conjuguer la temporalité de la recherche publique et celle du monde socio-économique », témoigne Hervé Vezin. Sophie Demolombe ajoute : « même si les choses ont progressé, il reste plusieurs guichets, plusieurs tutelles, plusieurs interlocuteurs. Il faut du temps pour naviguer dans tout ça, surtout lorsqu’on est chercheur. Le rôle des ambassadeurs, c’est aussi d’aider à franchir ce seuil ».
Faire émerger et accélérer les initiatives
Le réseau mobilise à ce jour quelque quatre-vingts chercheurs. Il révèle la diversité des formes que peut prendre l’innovation : participation à un programme de transfert ou de valorisation, création de start-up, chaire industrielle, laboratoire commun, contrat de recherche partenariale…
Par ailleurs, le réseau des ambassadeurs de l’innovation traduit une évolution générationnelle. « Les chercheurs de la nouvelle génération ont une appétence beaucoup plus naturelle pour les démarches entrepreneuriales. Ce n’est plus tabou comme avant. Ils veulent que leur recherche ait un impact sur la société », constate Hervé Vezin.
Dans son ambition, le réseau ne remplace pas les incubateurs, les services de valorisation, les PUI (pôles universitaires d’innovation) ou les instituts. « Il vient les compléter, en jouant sur la proximité et l’engagement des pairs. L’objectif est d’accélérer, de valoriser et rendre visible ce qui se fait déjà. Beaucoup de chercheurs innovent sans le savoir ou sans s’identifier comme innovateurs », précise Sophie Demolombe.
La force du réseau réside dans sa diversité disciplinaire. Si la chimie et la biologie y sont historiquement très présentes, l’ambition est d’élargir le spectre à toutes les disciplines, y compris les sciences humaines et sociales (SHS). « L’innovation ne se résume pas à la création d’un brevet ou d’une start-up. Concevoir un nouveau modèle de gestion de l’eau, proposer des outils d’analyse pour les politiques publiques, c’est aussi innover. Construire le monde de demain, cela passe aussi par les SHS »,insiste Hervé Vezin.
La valorisation sous toutes ses formes, avec Fabrice Piquemal
Physicien des particules, directeur de recherche au CNRS et directeur du Laboratoire de Physique des 2 Infinis de Bordeaux2
, Fabrice Piquemal fait partie de ces ambassadeurs qui ont exploré dans sa trajectoire plusieurs voies de valorisation.
« Je me suis toujours intéressé à l‘application sociétale de nos recherches », confie-t-il. Une question nourrie par une année passée à l’Université de Tohoku, au Japon, où la proximité entre laboratoires et industrie l’a marqué. Sa trajectoire est jalonnée d’innovations concrètes. « Pour moi, la valorisation, c’est une aventure humaine. Elle naît d’affinités, de rencontres et d’un désir commun d’appliquer nos découvertes à la société », explique le chercheur. Son parcours en est la preuve.
En 2007, directeur du laboratoire souterrain de Modane3 , il travaille sur l’effet des rayonnements cosmiques et de la radioactivité naturelle sur les cellules congelées, par exemple, les cellules souches qui sont conservées depuis la naissance. « J’avais l’intuition que les rayonnements pouvaient avoir un effet délétère sur la conservation des cellules congelées qui ne se réparent pas. J’ai échangé avec un collègue physicien qui lui a eu la chance de rencontrer Fabrice Chrétien, professeur à l’Institut Pasteur, et Pierre Rocheteau, biologiste en post-doc, qui se sont montrés très intéressés. De fait, nous avons lancé une démarche commune sur une première expérience qui a été financée pendant deux ans par le CNRS via la MITI et l’Institut Pasteur. Les premiers résultats ont montré qu’il y avait un effet. Nous avons alors déposé un brevet CNRS-Institut Pasteur pour la protection des matériaux biologiques », raconte le scientifique passionné. A partir de ce brevet, Fabrice Piquemal obtient un financement de maturation de la SATT Linksium pour développer un prototype industriel. Dans la continuité, cette innovation donne lieu à la création de la start-up Cell Tereo dont il est co-fondateur et conseiller scientifique. « Là encore, j’ai découvert un autre monde, celui des start-up. Fascinant ».
A la tête de son laboratoire, le physicien fait profiter ses collaborateurs de son expérience. « Quand une chercheuse en chimie m’a présenté une méthode prometteuse pour la remédiation des sols, je lui ai simplement demandé : as-tu pensé à un brevet ? », raconte-t-il. Et de lui expliquer la démarche de dépôt d’un brevet, le financement par une SATT. « Je mesure combien la pédagogie et le partage d’expérience sont essentiels. C’est exactement l’esprit du réseau : montrer par l’exemple que l’innovation est à la portée de chacun », partage Fabrice Piquemal. Il conclut enthousiaste : « beaucoup de chercheurs s’autocensurent. Ils pensent que leurs travaux ne sont pas adaptés à la valorisation. Or ces freins ne sont pas si ancrés. Le réseau permet de lever ces doutes en montrant que, du laboratoire commun à la start-up, tout commence par une idée partagée. »
Faire entendre la voix des SHS, avec Mylène Pardoen
Mylène Pardoen, ingénieure de recherche au CNRS et archéologue du patrimoine sonore à la Maison des Sciences sociales et des Humanités Lyon Saint-Etienne4
, incarne une autre facette du réseau des ambassadeurs de l’innovation : celle des sciences humaines et sociales. Créatrice du concept d’« archéologie du paysage sonore », elle travaille sur la restitution des ambiances du passé et la polysensorialité des métiers d’artisanat.
Pour la scientifique, être ambassadrice contribue à une reconnaissance élargie de l’innovation. « Nous avons besoin de cette dynamique pour montrer que l’innovation ne se limite pas à l’ingénierie. Le son, la mémoire, la perception peuvent eux aussi changer notre rapport au monde. »
Pour elle, c’est une sonorisation muséale qui a tout déclenché. À la suite d’une expérience menée pour le musée de l’Armée – Hôtel des Invalides, Mylène Pardoen entreprend de reconstituer le paysage sonore du Paris du XVIIIᵉ siècle. Le projet Bretez, alliant captations acoustiques, reconstitutions 3D et archives, devient rapidement un objet de curiosité scientifique. « Le CNRS a pris connaissance de mes travaux sur Bretez qui ne rentraient dans aucune catégorie », raconte-t-elle. Invitée à présenter ses recherches, la docteure en musicologie comprend qu’elle vient de créer, sans le savoir, une discipline nouvelle. « La première fois qu’on m’a demandé comment je nommerais ce que je fais, j’ai répondu instinctivement : l’archéologie du paysage sonore », se souvient-elle. C’est ainsi qu’en 2015, après une carrière militaire et une reprise d’études, elle est recrutée par le CNRS.
Pour Mylène Pardoen, l’innovation en SHS est d’abord une question de regard. « Tout le monde pense que les sciences humaines et sociales, c’est du texte. Or, nous aussi, on innove. Nous travaillons sur l’impalpable, sur le ressenti, sur des choses qu’on ne peut pas mesurer. », analyse-t-elle. L’archéologue du patrimoine sonore travaille sur toute la chaîne de production : les archives, le terrain, la création d’ambiance sonore immersive. Et d’expliquer : « j’ai une salle immersive avec 46 haut-parleurs, des micros surfaciques, des outils d’enregistrement sur le terrain. Nous utilisons la technique la plus pointue pour donner à entendre le passé ». Les fresques sonores qu’elle crée conjuguent l’histoire, la géographie, l’urbanisme, la captation et la spatialisation acoustique. « Le visible, c’est ce qu’on entend – trois minutes de son – mais ce qu’on ne voit pas, c’est tout le reste : la recherche, les réglages, les enregistrements, la réflexion. Tout cela, c’est la ‘’part grise’’ du travail scientifique », explique la scientifique.
Au carrefour des sciences humaines et des sciences de l’ingénieur, Mylène Pardoen incarne l’innovation. Lauréate de la médaille de cristal CNRS 2020, elle devient en 2021 la première lauréate du prix Suzanne Bella Srodogora qui récompense un itinéraire remarquable parmi les femmes, personnels d’appui à la recherche et lauréates d’une médaille de cristal. Lauréate du concours HériTech en 2023, elle reçoit le Care d’Or 2023 (Recherche et Application) pour son travail de reconstitution du paysage sonore de la cathédrale Notre-Dame au moment de sa construction au XIIè siècle. Aujourd’hui, Mylène Pardoen travaille avec d’autres scientifiques sur un jumeau numérique sensoriel.
Ambassadrice du réseau de l’innovation, Mylène Pardoen associe le personnel scientifique et technique aux chercheurs dans la démarche de valorisation. « Faire partie d’un réseau comme celui de l’innovation, c’est aussi valoriser les agents de gestion, de RH, de documentation ou des achats, souvent invisibles dans les succès de la recherche qui participent pleinement au processus d’innovation », confie-t-elle, expérience à l’appui.
Vers une culture partagée de l’innovation
Le réseau, encore jeune, est appelé à s’étoffer et à se structurer. Le premier annuaire des Ambassadeurs de l'Innovation est disponible, une campagne de communication est en préparation et une rencontre nationale est prévue en 2026. « Nous faisons un travail de haute couture, délégation par délégation, pour recruter des profils qui ont envie de transmettre », souligne Sophie Demolombe. Et de conclure, enthousiaste : « si l’innovation ne se décrète pas, ce réseau se veut un catalyseur ».
Sur le fil d'innovation
Le nouveau podcast du CNRS Sur le fil de l'innovation sortira début 2026 sur toutes les plateformes d'écoute. Découvrez les portraits inspirants des ambassadeurs de l'innovation, leurs travaux scientifiques et leurs parcours d'innovateurs.
Les chercheurs-innovateurs au CNRS
Avec la participation de :
Cyril Aymonier, Directeur de recherche CNRS, Directeur de l’Institut de Chimie de la Matière Condensée de Bordeaux (CNRS / Bordeaux INP / Université de Bordeaux)
Claude Grison, Directrice de recherche CNRS, Directrice du laboratoire Chimie bio-inspirée et innovations écologiques (CNRS)
Florence Mahuteau-Betzer, Directrice de recherche CNRS, Directrice du laboratoire Chimie et Modélisation pour la Biologie du Cancer (CNRS / INSERM / Institut Curie / Université Paris-Saclay)
Sylvain Ballandras, Directeur de SOITEC Besançon