Comprendre et accompagner le cycle minier de l’uranium avec le laboratoire commun Mcube

Innovation
Matière

L’uranium est un métal qui joue un rôle clé dans la transition énergétique, et les besoins sont amenés à augmenter avec l’accélération de la demande mondiale en énergie bas-carbone. Orano, opérateur international majeur dans le domaine des matières nucléaires, s’associe à l’IC2MP pour créer un laboratoire commun qui étudiera toutes les étapes du cycle minier de l’uranium : prospection, exploitation, et réaménagement. 

Des défis scientifiques et industriels

L’uranium est abondant dans la croute terrestre, mais son exploitation peut être complexe, notamment dans des gisements de concentration de plus en plus faible. Et la « vie » d’une mine ne s’arrête pas à la fermeture : son état continue d’être suivi des années plus tard. 

« Pour comprendre quelle est l’empreinte humaine sur le milieu naturel, on doit d’abord comprendre le milieu naturel », résume Emmanuel Tertre, enseignant-chercheur à l’Université de Poitiers, membre de l’équipe Hydrogéologie, Argiles, Sols et Altérations (HydrASA) de l’Institut de Chimie des Milieux et Matériaux de Poitiers (IC2MP, CNRS/Université de Poitiers) et co-directeur du laboratoire commun. Il complète : « l’étude du fonctionnement des environnements miniers mobilise tous les domaines des géosciences : géologie de terrain, minéralogie et géochimie environnementale, pétrographie des roches et des sédiments, hydrogéologie, transport en milieux poreux… L’accès aux sites naturels anthropisés suivis dans le temps et l’espace n’est pas quelque chose de si fréquent pour les chercheurs académiques, mais cette collaboration avec Orano, via des environnements miniers en exploitation ou en postproduction instrumentés, le permet ».  

Michael Descostes, responsable de la R&D environnementale chez Orano Mining et co-directeur du laboratoire commun, abonde : « faire des prélèvements d’eau à plus de 500 mètres de profondeur pour étudier les populations microbiennes, mesurer les variations de minéralogie sur plusieurs kilomètres de forage… Nous menons ce type d’actions, et nous pouvons ouvrir nos portes aux chercheurs afin de les aider à répondre aux questions qu’ils se posent – tout en nous aidant à avancer ».

En outre, les découvertes réalisées sur les sites miniers uranifères peuvent s’appliquer à d’autres terrains impactés par l’homme, par exemple aux mines de cobalt, terres rares et de lithium. 

De gauche à droite : Bertrand Morel, directeur R&D et Innovation du groupe Orano ; Thomas Rogaume, vice-président délégué Plateformes, innovation et entrepreneuriat de l'université de Poitiers ; Michael Descostes, responsable R&D environnement d'Orano Mining ; Emmanuel Tertre, enseignant-chercheur à l'Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers ; Virginie Laval, présidente de l'université de Poitiers ; Mehdi Gmar, directeur général délégué à l'innovation du CNRS ; Hervé Toubon directeur R&D et Innovation d'Orano Mining et Najib Hajjaji, responsable partenariats industriels stratégiques du CNRS. 
© Université de Poitiers 

Trois volets de R&D pour étudier l’intégralité du cycle de l’uranium 


Le laboratoire commun associe recherche fondamentale et appliquée autour de trois problématiques principales. 

Le premier volet porte sur la compréhension du mode de formation des gisements et l’identification de marqueurs minéralogiques pour la découverte de minéralisation. Ce volet bénéficie de l’expertise de l’équipe HydrASA de l’IC2MP, couplant des techniques permettant de visualiser l’organisation des minéraux et la porosité dans les roches et les sédiments (allant jusqu’à l’échelle du micron, c’est-à-dire un millième de millimètre) à des analyses minéralogiques et géochimiques fines.

Le deuxième volet cherche à proposer des méthodes permettant de réduire l’impact environnemental des mines, notamment celles où l’extraction se fait par lixiviation in situ (un procédé qui consiste à faire circuler des solutions acidifiées dans les formations géologiques ciblées). L’objectif : revenir le plus vite possible aux conditions hydrogéochimiques qui étaient celles du site avant son exploitation. 

Le troisième volet s’intéresse à des développements de cartographie numérique pour visualiser et spatialiser les descendants de l’uranium dans les roches et les géomatériaux (tels que des résidus de traitement par exemple), impactés ou non par l’activité minière, dans le but de mieux prédire la mobilité de ces éléments ultra-traces radioactifs dans les environnements miniers. Pour Michael Descostes, l’enjeu est de « développer des outils prédictifs pour établir des scénarios sur le comportement des descendants radioactifs de l’uranium dans l’espace et dans le temps, et éventuellement contribuer à optimiser les solutions de réaménagement ».

Fil rouge de ces trois axes : la formation par la recherche. Le laboratoire commun accueillera et financera des stages de Master, des thèses et des postdoctorats. Une dimension importante, aussi bien pour Emmanuel Tertre, qui souhaite montrer aux étudiants que l’on peut « faire une thèse et ne pas forcément avoir comme but de devenir chercheur dans le milieu académique », que pour Michael Descostes qui apprécie le fait de pouvoir « recruter de jeunes talents », tout en « bénéficiant du réseau de recherche et d’enseignement de l’Université de Poitiers afin de former des étudiants étrangers ».

Un partenariat historique qui s’ouvre vers l’avenir


Orano et l’Université de Poitiers collaborent depuis une trentaine d’années : des recherches communes étaient déjà en cours dans la dernière mine d’uranium française, Le Bernardan en Haute-Vienne (fermée en 2001). Depuis, la coopération a donné lieu à 17 thèses, 65 articles et 2 brevets. Le tout portant sur des sites et gisements du monde entier (Kazakhstan, Canada, Mongolie, France, Gabon, entre autres), que le laboratoire commun continuera d’étudier. 

Michael Descostes cite un exemple d’échanges ayant eu un impact direct sur le terrain. Il y a une quinzaine d’années, l’exploitation d’un gisement au Kazakhstan rencontrait parfois quelques difficultés malgré la nature sableuse de la zone favorable à la lixiviation. Ayant récemment rejoint Orano, Michael Descostes a envoyé des échantillons à l’Université de Poitiers, afin de voir si des traces de minéraux argileux pouvaient expliquer ces difficultés. Ils étaient bien présents, mais en très faibles quantités (moins de 3 %), que seuls les outils de caractérisations fines du laboratoire auraient pu repérer. « Aujourd’hui, quand je me rends au Kazakhstan, les gens que je croise savent qu’il y a des argiles dans les gisements exploités. » Ces résultats ont été obtenus à l’origine dans le cadre d’une thèse Orano/IC2MP soutenue il y a une dizaine d’années, par un jeune chercheur qui est maintenant maître de conférences à l’Université de Limoges.

« Les milieux anthropisés nous incitent à nous poser des questions scientifiques, mais cela ouvre bien sûr à des questions sociétales », remarque Emmanuel Tertre. « Le tout est d’apporter des éléments de réponses sur des bases scientifiques, afin que la société s’en empare. »

La collaboration entre acteurs industriels et académiques peut ainsi être une alliée pour des conversations plus vastes sur l’exploitation des mines et leur futur. « Je suis souvent amené à avoir des discussions avec des parties prenantes, que ce soit mes collègues, des ONG, des autorités de sûreté », ajoute Michael Descostes. « Travailler avec des chercheurs et réaliser des publications scientifiques permet d’apporter une confiance dans le dialogue », conclut-il.