Deeptech française : comment relever le défi du passage à l’échelle ?
Lancé en 2019, le Plan Deeptech ambitionne, d’ici à 2030, de dynamiser et de structurer l’écosystème deeptech français afin de favoriser le développement d’innovations de rupture. À mi-parcours, la Direction générale des Entreprises (DGE), du ministère de l’Economie des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, dresse un premier bilan et se projette sur les six années à venir, à travers un rapport intitulé « L’innovation de rupture au défi du passage à l’échelle ». Jérôme Gazzano, sous-directeur de l’innovation à la DGE, nous en présente les principaux enseignements et les pistes à explorer pour relever ce défi.
Comment se porte l’écosystème deeptech français, six ans après le lancement du Plan Deeptech ?
Jérôme Gazzano : Depuis ses débuts, le Plan Deeptech porte des objectifs ambitieux à l’horizon 2030, visant la création de 500 start-up deeptech et l’établissement de 100 nouveaux sites industriels par an, ou encore l’émergence de 10 licornes deeptech. Nous sommes actuellement à mi-chemin du déploiement de ce programme, un moment idéal pour effectuer un point d’étape. Et nous constatons que le soutien aux acteurs de l’innovation de rupture porte ses fruits : la France semble en bonne voie pour atteindre les objectifs fixés en 2019.
En effet, plusieurs indicateurs paraissent encourageants. Par exemple, près de 400 start-up deeptech ont été créées en 2024, un nombre en forte croissance ces dernières années. De même, le montant total des levées de fonds a quasiment triplé depuis 2019, atteignant 4,1 milliards d’euros en 2023. Une somme qui fait de la France la première nation de l’Union européenne en la matière et la quatrième au monde (derrière les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni).
Et au-delà des chiffres, nous observons une montée en puissance de l’écosystème deeptech français, qui fluidifie la collaboration entre la recherche publique et le monde industriel et les transferts technologiques.
Quel rôle jouent le CNRS et les acteurs de la recherche publique dans le développement des innovations de rupture ?
J. G. : Une innovation de rupture s’inscrit généralement dans un continuum, du laboratoire à l’entreprise, voire à l’usine. La recherche publique constitue donc la base du processus global d’innovation. C’est pourquoi il est primordial de créer et de multiplier les ponts entre le monde académique et celui des entreprises. Il s’agit ainsi de faciliter la détection des technologies à fort potentiel présentes dans les laboratoires et leur valorisation à travers des transferts technologiques.
Sur tous ces aspects, le CNRS joue un rôle de premier ordre. Premièrement, bien sûr, grâce à l’excellence scientifique de ses laboratoires de recherche. Mais il apporte également son expertise en recherche partenariale et sur les sujets de transfert technologique, notamment via CNRS Innovation.
Le rapport de la DGE évoque à présent un « défi du passage à l’échelle ». De quoi est-il question et comment le relever ?
J. G. : Si la situation à mi-parcours est encourageante, il n’est toutefois pas question de s’en contenter. La première partie du Plan Deeptech a permis de créer des conditions favorables aux premières étapes de la vie d’une start-up deeptech : transferts technologiques, propriété intellectuelle, premiers financements, première industrialisation… Il s’agit à présent d’aider ces entreprises à croître, à asseoir leur position sur un marché stable, en France comme à l’international, à atteindre la rentabilité, à gérer la croissance de leurs équipes, à prétendre à des financements plus élevés, en adéquation avec leur niveau de maturité… Ce passage à l’échelle, de la start-up naissante à une entreprise établie et en croissance, doit désormais constituer notre priorité.
Pour relever ce défi, nous avons proposé une série de pistes à explorer, issues de consultations avec l’ensemble de l’écosystème deeptech et réparties en trois grandes catégories. La première consiste à renforcer la valorisation de la recherche scientifique française et à accélérer le passage du laboratoire à l’usine. J’insiste : cette étape est fondamentale, nous devons donc aller encore plus loin en accentuant les liens entre la recherche publique et les acteurs privés.
Ensuite, nous avons estimé à 30 milliards d’euros les besoins de financement des entreprises deeptech d’ici à 2030. Dès lors, il paraît indispensable de pouvoir solliciter des dispositifs de soutien public, français et européens, mais aussi, et surtout, de favoriser les financements privés : emprunts bancaires, business angels, fonds d’investissement, de pension et institutionnels…
Enfin, le meilleur moyen pour une entreprise de se développer reste de vendre à ses clients. Par conséquent, nous préconisons de mettre en place des mécanismes favorisant les commandes publiques et privées auprès des entreprises deeptech. Et puisque cela peut concerner aussi bien la France que l’Europe, nous entendons faire le lien avec les travaux en cours à la Commission européenne, s’appuyant notamment sur le récent rapport Draghi sur la compétitivité européenne.