Horizon Europe : « La voix du CNRS a de l’importance »
La Commission européenne a présenté le 16 juillet sa proposition pour le prochain programme-cadre pour la recherche et l’innovation, toujours nommé Horizon Europe, inclus dans le Cadre financier pluriannuel européen 2028-2034. Explications avec Jean-Stéphane Dhersin, directeur du Bureau de représentation du CNRS à Bruxelles.
Que retenez-vous des propositions de la Commission européenne concernant le prochain programme-cadre européen, qui démarrera en 2028 ?
Jean-Stéphane Dhersin : Le CNRS se félicite du budget très important annoncé – avec une enveloppe de 175 Mds €, Horizon Europe double de taille par rapport à la période 2021-2027 – et accueille globalement positivement les premières orientations de ce futur programme-cadre, en particulier la préservation de la recherche fondamentale dans le pilier 11 . En tant que premier bénéficiaire en Europe du programme Pathfinder Open, le CNRS apprécie aussi la montée en puissance du Conseil européen de l’innovation (EIC), un outil parfaitement adapté à la stratégie du CNRS et à ses liens avec les entreprises.
Avec cette proposition, la Commission place la recherche et l’innovation au cœur de sa vision pour renforcer la compétitivité de l’Union européenne. L’objectif affiché est de renforcer l’excellence scientifique, mais surtout utiliser le prochain Horizon Europe pour appuyer la souveraineté technologique de l’Union Européenne avec des investissements dans des domaines clés.
La proposition dessine un programme Horizon Europe repensé, tant dans son architecture que dans ses modalités de mise en œuvre. Il bénéficierait d’une protection budgétaire partielle et s’appuierait sur un financement fortement renforcé, notamment en matière de recherche fondamentale.
Toutefois, le CNRS demeure attentif à ce que la recherche fondamentale d’excellence irrigue l’ensemble des piliers du programme-cadre, via des mécanismes clairs de continuum entre recherche et innovation. Des inquiétudes subsistent. Par exemple, Horizon Europe serait étroitement articulé au Fonds européen de compétitivité2 (ECF) pour ses volets stratégiques et appliqués. Son pilier 2, dont la plus grande partie serait orientée directement par l’ECF, pourrait ainsi privilégier les projets d’innovation avancés (à TRL3 élevés) au détriment de la recherche fondamentale (à TRL bas). Il est crucial que les programmes de travail préservent un équilibre entre recherche fondamentale et appliquée, et que leur élaboration dans le cadre de la comitologie reste confiée à des experts scientifiques.
Le CNRS avait fourni ses préconisations sur le sujet. A-t-il été entendu ?
J-S. D. : Comme de nombreux autres organismes de recherche européens le CNRS avait produit un position paper, et nous retrouvons en effet un certain nombre des propositions qu’il contenait dans le texte présenté par la commission, notamment, un budget largement augmenté et sanctuarisé pour la recherche. L’indépendance du budget vis à vis du Fonds européen de compétitivité, longtemps incertaine, avait récemment été confirmée par la présidente de la Commission le 4 juin lors d’un évènement, coorganisé au parlement européen par le réseau G6, dont fait partie le CNRS pour la France, et le panel STOA4 (Panel for the Future of Science and Technology), chargé d’analyser les enjeux scientifiques et technologiques communs aux États membres. Cette indépendance du budget est capitale pour assurer une bonne représentation des projets de recherche fondamentale, surtout quand la compétitivité et l’innovation sont considérés comme une priorité par la Commission européenne.
- 1 Le premier pilier, « Excellence scientifique » est consacré à la recherche fondamentale, avec le Conseil européen de la recherche (ERC), les actions Marie Sklodowska-Curie (MSCA) et les Infrastructures de recherche. Le deuxième pilier, « Problématiques mondiales et compétitivité industrielle européenne » a pour objectif de soutenir de grands projets collaboratifs, avec une organisation en « clusters ». Il centralise la plus grosse part des financements avec 53,5 milliards d’euros. Le troisième pilier est le Conseil européen de l’innovation (EIC).
- 2Le Fonds européen pour la compétitivité (ECF) est un nouvel instrument budgétaire envisagé par la Commission dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel (2028‑2034). Il vise à regrouper et simplifier plusieurs programmes sectoriels existants au sein d’un ensemble cohérent, pour stimuler les investissements dans les technologies stratégiques et renforcer la compétitivité de l'Union à l’échelle mondiale.
- 3Le Technology Readiness Level (TRL) est un indicateur qui mesure le degré de maturité d’une technologie, de la recherche fondamentale (TRL 1) jusqu’à son déploiement opérationnel (TRL 9).
- 4Le Panel for the Future of Science and Technology, dit Panel STOA est un équivalent européen de l’Opecst français.
D’autres points que le CNRS défendait de longue date apparaissent également dans la proposition de la Commission, et nous nous en réjouissons évidemment. Le doublement du budget ERC envoie un signal très fort en faveur de l’excellence scientifique, tandis que le triplement prévu des moyens de l’EIC renforce l’ambition en matière d’innovation de rupture. Nous sommes également très attentifs au rôle renforcé des actions MSCA, qui soutiennent la circulation des chercheurs et la formation des jeunes talents. L’amélioration du soutien aux infrastructures de recherche, ainsi que les éléments de simplification annoncés font écho aux propositions formulées dans notre position paper de l’été 2024. Tout comme la volonté d’assurer une meilleure articulation entre recherche et innovation, via un continuum plus fluide entre les différents niveaux de TRL.
Bien sûr, toutes nos propositions n’ont pas été suivies pour l’heure. Par exemple, le CNRS appuyait la création d’appels blancs permettant de soutenir les projets collaboratifs entre jeunes scientifiques européens. Et la place croissante du Fonds européen de compétitivité soulève des questions sur le maintien de l’autonomie scientifique dans les actions collaboratives.
Cette proposition de la Commission européenne comporte une nouveauté : les projets « Moonshots ». Pouvez-vous nous expliquer ce dont il s’agit ?
J-S. D. : Le concept de projets « Moonshots » au sein d’Horizon Europe vise à assurer le leadership européen en matière de compétitivité grâce à des positionnements stratégiques et à long terme sur des thématiques ou des infrastructures scientifiques ambitieuses. Aucun projet concret n’a pour le moment été identifié, mais les documents listent des exemples indicatifs comme le futur collisionneur circulaire du CERN, l'IA de nouvelle génération, l'informatique quantique, l'énergie de fusion ou encore l’accès de l’Europe à la Lune. Cela rappelle les « chantiers du siècle » annoncés par le président français Emmanuel Macron lors de l’événement de lancement de l’initiative Choose Europe for Science le 5 mai dernier. Rien n’est encore précis quant au nombre de moonshots et à leur allocation budgétaire exacte au sein d'Horizon Europe, mais l’idée est là.
Les principes sont posés, dans quels calendriers se feront les négociations ?
J-S. D. : Les négociations sur cette proposition de la Commission, qui vont se dérouler sur les deux prochaines années, seront ainsi décisives pour l’avenir du financement européen de la recherche. Elles devront trouver un équilibre entre flexibilité, pilotage stratégique, objectifs industriels ou géopolitiques, et financement fiable, tout en affirmant la science comme partenaire indépendant.
Il faut en effet souligner qu’il ne s’agit pour le moment que d’une proposition soumise par la Commission Européenne. Les négociations débuteront au second semestre 2025 entre le Conseil, le Parlement et la Commission. Le processus prévoit qu’un accord politique soit trouvé d’ici la fin 2026, après quoi le texte pourra être formellement adopté en 2027. Le nouveau programme devrait alors entrer en vigueur au 1er janvier 2028. Dans ce contexte législatif crucial, le CNRS renforce sa mobilisation et ses efforts de conviction. Ainsi, nous participons activement aux consultations stratégiques menées par la Commission européenne, couvrant des thématiques générales comme le Cadre financier pluriannuel européen, l’ECF ou Horizon Europe, mais aussi des sujets clés tels que les biotechnologies, l’IA ou encore les infrastructures. En tant que premier bénéficiaire du programme-cadre au niveau européen, la voix du CNRS a de l’importance.
Par ailleurs, notre rôle est renforcé par nos liens étroits avec la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, qui demeure un interlocuteur clé dans les négociations. Ces échanges réguliers permettent de porter au bon niveau nos recommandations et idées dans les discussions en cours à Bruxelles.
Comprendre le Cadre financier pluriannuel et Horizon Europe
Le Cadre financier pluriannuel européen constitue le budget global de l’Union européenne pour sept ans.
Il est adopté à l’unanimité au Conseil Européen1 , sur avis du Parlement, et fixe les plafonds budgétaires par grandes priorités (dont la recherche et l’innovation). Pour la période 2028-2034, la proposition de la Commission européenne, dévoilée le 16 juillet 2025, atteint près de 2 000 milliards d’euros.
Au sein de ce Cadre, le Fonds européen de compétitivité (ECF) est présenté comme l’outil de mise en œuvre directe des recommandations du rapport Draghi. Doté de 409 Mds€, il doit créer un effet de levier sur l’investissement privé, en permettant un financement complet des projets stratégiques (AI, quantique, satellites, défense duale, etc.), de la R&D jusqu’au déploiement. Son périmètre intègre des financements aujourd’hui dispersés (Innovation Fund, InvestEU, etc.) dans un guichet unique, avec des règles communes, des procédures allégées et un accès accéléré aux fonds. Il financera en partie les projets « moonshots ».
Horizon Europe, le programme-cadre pour la recherche et l’innovation, représente une enveloppe de 175 milliards d’euros dans cette proposition. Sa structure reste articulée autour de quatre piliers, avec un équilibre affirmé entre recherche fondamentale, collaborations européennes, innovation de rupture et soutien aux écosystèmes de recherche. À la différence du CFP, le programme Horizon Europe fera l’objet d’une négociation législative distincte, entre la Commission, le Conseil de l'UE et le Parlement européen, avec un accord attendu d’ici 2026 pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2028.
- 1 La Commission européenne propose le MFF ; le Conseil européen (à l’unanimité) adopte le règlement fixant le MFF. Le Parlement européen donne son approbation, mais il ne co-légifère pas sur le texte lui-même (il peut dire oui ou non, mais ne proposer d’amendement qu’en amont, de manière informelle).
Pilier 1 : Science d’excellence - 44,079 milliards €
- Conseil européen de la recherche (ERC)
- Actions Marie Skłodowska-Curie
- Science pour les politiques de l’UE
Pilier II : Compétitivité et société - 75,876 milliards €
- Compétitivité :
- Transition écologique et décarbonation industrielle
- Santé, biotechnologie, agriculture et bioéconomie
- Leadership numérique
- Résilience et sécurité, industrie de la défense et espace
- Société :
- Défis sociétaux mondiaux
- Sciences humaines et sociales
- Nouvelle Bauhaus européenne
Pilier III : Innovation - 38,785 milliards €
- Conseil européen de l’innovation (EIC)
- Écosystèmes d’innovation et triangle de la connaissance
Pilier IV : Espace européen de la recherche - 16,262 milliards €
- Politiques de l’ERA (European Research Area)
- Infrastructures de recherche et technologiques
- Élargir la participation et diffuser l’excellence