IBIS : en route vers des véhicules électriques dotés de "batteries intelligentes"

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Réunissant huit partenaires, dont le groupe Stellantis et trois laboratoires sous cotutelle du CNRS, le projet IBIS vise à mettre au point un système « intelligent » de stockage et de conversion d’énergie pour les véhicules et les réseaux électriques. La technologie développée a dernièrement fait ses premiers pas en conditions réelles : elle a été intégrée au sein d’un véhicule électrique du marché, pour de premiers essais sur route ouverte.

Lancé à la fin de l’année 2018, le projet IBIS (Intelligent Battery Integrated System)1  repose sur un besoin partagé par deux industriels : le constructeur automobile Stellantis et l’entreprise Saft, filiale de TotalEnergies, spécialisée dans les solutions de batteries à destination de l’industrie. « Les deux acteurs souhaitaient bénéficier d’une simplification de la chaîne de conversion d’énergie », présente Claude Marchand, professeur à l’Université Paris-Saclay au sein du laboratoire GeePs2 . « Dans un véhicule électrique, on trouve deux convertisseurs électroniques essentiels : l’onduleur, qui alimente en énergie le système de traction électrique, et le chargeur, qui permet de charger la batterie lors de la connexion au réseau électrique. Ces fonctions sont également indispensables dans le domaine du stockage d’énergie stationnaire pour les réseaux électriques, avec une différence : elles sont assurées par un seul convertisseur réversible. »

Huit partenaires aux expertises complémentaires


Dès lors, l’objectif du projet IBIS était de simplifier cette chaîne énergétique en mettant au point une nouvelle génération de système de stockage et de conversion d’énergie. Et ce, tout en mutualisant les développements pour des applications aussi bien automobiles que stationnaires.

À cet effet, en plus de Stellantis et de Saft, le projet réunit trois laboratoires sous cotutelle du CNRS : le GeePs et le SATIE3 , spécialistes de la conception, de l’expérimentation et de la validation des systèmes de conversion d’énergie électrique, ainsi que le LEPMI4 , qui apporte ses compétences en caractérisation et en élaboration de cellules de batterie. Cet éventail d’expertises est complété par un laboratoire privé, l’Institut Lafayette – et son savoir quant aux composants électroniques de puissance à base de nitrure de gallium –, ainsi que deux entreprises : SHERPA Engineering – en particulier sur les lois de contrôle des systèmes – et E2-CAD – spécialiste des systèmes électroniques embarqués.

Une batterie « intelligente » qui intègre le chargeur et l’onduleur


Ces huit partenaires sont parvenus à développer la technologie IBIS. Celle-ci offre la possibilité de s’affranchir des composants dédiés aux rôles d’onduleur et de chargeur en intégrant ces fonctions directement dans la batterie. Une nouvelle configuration qui induit un gain substantiel de poids et d’encombrement. « Au total, IBIS permet de gagner jusqu’à 40 kg et 17 L de volume sous le capot d’un véhicule électrique », précise Francis Roy, chef de projet chez Stellantis et coordinateur du projet IBIS. « Il s’agit d’avantages significatifs qui offrent notamment de nouvelles possibilités de design pour améliorer l’aérodynamisme du véhicule, et donc son autonomie sur autoroute – une caractéristique primordiale. »

La technologie IBIS repose sur une division de la batterie en modules, chacun étant équipé d’un convertisseur réversible qui peut assurer la fonction d’alimentation de la machine électrique comme celle de charge. Chaque module est piloté indépendamment des autres, de sorte à répondre « intelligemment » aux besoins du véhicule ou du réseau électrique. « Cette évolution peut faire penser à celle qu’ont connue les téléviseurs », illustre Francis Roy. « Ces derniers sont passés du pilotage d’un faisceau d’électrons, dans le tube cathodique, à celui de centaines de milliers, voire millions, de LED. Ici, la philosophie est similaire, puisqu’il s’agit de piloter de multiples volumes d’énergie indépendamment. »

Amélioration de l’efficacité énergétique et de la maintenabilité


Les avantages d’IBIS ne se limitent pas aux gains d’espace et de poids. En effet, la technologie s’appuie sur l’utilisation de composants semi-conducteurs très basse tension qui présentent des niveaux de résistance interne faibles. Cette particularité joue grandement en faveur de l’efficacité énergétique du système : à taille de batterie identique, IBIS offre un gain de 10 % en consommation d’énergie, tant pour la charge que l’alimentation de la machine électrique.

« IBIS agit aussi en faveur de la disponibilité et de la maintenabilité du système », ajoute Claude Marchand. « Aujourd’hui, dans une voiture électrique, si une seule cellule de batterie est défaillante, le véhicule ne peut plus être utilisé. À l’inverse, ici, grâce à la modularité d’IBIS, une voiture continue à fonctionner même si un des modules rencontre une panne. Et, dans ce cas, la réparation implique seulement de changer le module défectueux. » En outre, le système offre la possibilité d’installer un module de remplacement différent du précédent, ce qui permet de s’adapter aux évolutions technologiques des chimies des cellules lithium-ion et de leurs capacités.

Le prototype Peugeot E-3008 équipé de la batterie IBIS

De premiers essais sur route pour un véhicule électrique équipé d’IBIS


Après un premier prototype testé en contexte stationnaire, au GeePs, en juillet 2023, le projet IBIS a franchi une nouvelle étape en septembre 2025. Les partenaires ont en effet présenté un Peugeot E-3008 identique au modèle commercialisé, avec une nuance de taille : sa batterie traditionnelle a été remplacée par la technologie IBIS. Le véhicule a d’abord fait l’objet de tests sur banc d’essai, puis sur piste, avant d’obtenir de premiers résultats concluants sur route ouverte à partir de juin 2025.

Parallèlement à la poursuite de ces essais, l’équipe de recherche continue ses travaux dans le cadre d’IBIS 2, la deuxième phase du projet, entamée au début de l’année 2025. Son objectif est de soutenir la montée en maturité de la technologie et de valider son fonctionnement sur un véhicule à quatre roues motrices – contre deux pour le démonstrateur actuel. Un chantier piloté par les partenaires industriels, avec l’appui des laboratoires.

Cependant, le projet IBIS porte une vision qui s’inscrit bien au-delà. « Nous avons besoin de travailler dès à présent sur ce que sera la technologie dans dix ou quinze ans », projette Francis Roy. « Notre ambition est de continuer à innover et à améliorer les performances du système, par exemple à travers l’utilisation de semi-conducteurs plus récents, comme ceux à base de nitrure de gallium. » De nouvelles études, sous la forme de huit thèses, ont ainsi été lancées. Un chantier piloté par les laboratoires, avec l’appui des partenaires industriels.

  • 1Projet collaboratif soutenu par l’ADEME, puis par Bpifrance, dans le cadre du plan d’investissement « France 2030 »
  • 2Génie électrique et électronique de Paris (GeePs, CNRS/CentraleSupélec/Université Paris-Saclay/Sorbonne Université)
  • 3Systèmes et Applications des Technologies de l'information et de l'Énergie (SATIE, CNRS/ENS Paris-Saclay/ENS Rennes/Université Paris-Saclay/Cergy Paris Université/Université Gustave Eiffel/CNAM)
  • 4Laboratoire d'Électrochimie et Physico-chimie des Matériaux et des Interfaces (LEPMI, CNRS/Grenoble INP/Université Grenoble Alpes/Université Savoie Mont Blanc)