À Jalès, une ancienne commanderie templière abrite des trésors archéologiques
Située dans la plaine ardéchoise, cette ancienne commanderie des Templiers recèle des collections uniques en Europe et abrite des recherches scientifiques à visée internationale.
Quatrième volet d'une série de six articles sur les lieux insolites de la recherche au CNRS.
C’est un petit bijou architectural au milieu de la plaine ardéchoise. La commanderie de Jalès, qui rassemble un ensemble de bâtiments tenant à la fois du monastère et de la ferme, s’étend sur un domaine de 1,9 hectares entre Aubenas et Alès. Fondé par l’Ordre du Temple dans le deuxième tiers du XIIe siècle, le lieu permettait jadis de procurer des fonds à l’ordre religieux et militaire, en particulier grâce à l’exploitation des terres agricoles. Jalès demeure aujourd’hui parmi les commanderies les mieux conservées de l’époque sur les quelques huit cents disséminées à travers toute la France par les Templiers.
Le site a subi diverses transformations au fil des siècles. Passé aux Hospitaliers au début du XIVe siècle, il traverse la guerre de Cent Ans et les guerres de Religion. Au XVIIIe siècle, il est occupé par des troupes gagnées à la Contre-Révolution, puis vendu comme bien national en 1793. « La commanderie sera achetée par la famille d’un paysan ardéchois protestant érudit puis léguée en viager au département qui en hérite définitivement en 1975. Elle est partiellement laissée à l’abandon jusqu’à ce que Jacques Cauvin, préhistorien, se prenne d’un véritable coup de foudre pour ce lieu historique et décide d’y implanter en 1984 les bureaux de l’Institut de préhistoire orientale », explique Frédéric Abbes, directeur du laboratoire Archéorient1 . Aujourd’hui, le lieu, inscrit sur la liste des monuments historiques, abrite toujours une antenne de ce laboratoire sous co-tutelle CNRS.
- 1CNRS / Université Lyon-II Lumière.
Céréales, céramiques et vers à soie
Sur le plan architectural et géographique, Jalès dispose en effet de nombreux atouts. Ses 800 m² de locaux accueillent un nombre imposant de collections archéologiques. Sa magnanerie, ce bâtiment où l'on pratiquait jadis l'élevage des vers à soie, permet d’entreposer certains objets fragiles. Construit en majorité à partir du XVIe siècle dans le sud de la France, ce type de bâtisse a été conçu pour maintenir une température stable essentielle au développement des vers à soie. De facto, il est propice à la conservation des œuvres. Enfin, les prairies qui entourent les bâtiments offrent un terrain inespéré pour conduire des expérimentations scientifiques. Jacques Cauvin et les archéo-botanistes de son équipe ont d’ailleurs tenté à la fin des années 1980 d’y planter des cultures sauvages de céréales proches des spécimens que cultivaient les femmes et hommes du Néolithique. Cette recherche originale a conduit à mieux comprendre comment les grains ont pu se modifier et devenir domestiques sous l’influence de l’agriculture.
Encore aujourd’hui, le lieu accueille des ateliers destinés à permettre aux scientifiques et aux étudiants de reproduire les savoir-faire des populations humaines du passé, de la taille de silex à la reproduction de céramiques. « En reconstituant les gestes et les savoir-faire des populations préhistoriques, la taille des silex renseigne les archéologues non seulement sur les compétences techniques des premiers humains, mais aussi sur leurs modes de vie. Les silex taillés peuvent également être utilisés pour des études archéologiques approfondies en comparant les résultats avec des vestiges archéologiques », détaille Séverine Sanz, ingénieure d'études CNRS à Jalès. Alors qu’en France comme en Europe, les formations de ce type se sont raréfiées depuis plusieurs années, le laboratoire a également accueilli ces dernières années une formation sur la lecture et l’interprétation des chaînes opératoires céramiques, une discipline qui consiste à reconstituer les étapes du processus de création et d'utilisation de ces objets.
Des collections archéologiques uniques au monde
Mais ce n’est pas seulement la reproduction expérimentale de céramiques et de taille de silex qui attirent les scientifiques du monde entier. Avec sa superficie géante de 250 m², la commanderie possède l’une des seules carothèques d’Europe capable d’accueillir des carottes sédimentaires dites « mono-run » de six mètres de long. Ces carottes sédimentaires sont une prouesse technique car la longueur de l’échantillon permet d’étudier plus de périodes historiques. Toutefois, beaucoup de salles d’archives ne sont actuellement pas en mesure d’accueillir de tels échantillons en raison de leur taille imposante.
Jalès abrite surtout une collection archéologique hors du commun, avec des objets issus principalement de la période néolithique au Proche Orient. Les chiffres de la collection donnent le tournis : « On parle de 900 portoirs d’objets stockés, soit des dizaines de milliers d’objets unitaires. C’est colossal comme collection », commente Frédéric Abbes. D’autant plus que les réserves abritent des objets qui ont parfois disparu des réserves de leur pays d’origine, comme en Syrie, où la guerre a ravagé le patrimoine archéologique. La plupart ont été ramenés par l’équipe de Jacques Cauvin dans les années 1970 à 2000, notamment au moment des fouilles archéologiques de sauvetage réalisées en amont de la construction des barrages de l’Euphrate. Prenant part à l’opération, le préhistorien ramène des spécimens d’outillages, en os et en silex, ainsi que des échantillons de faune, de flore, de terre (os, graines, charbons). Autant de curiosités qui n’ont pas d’intérêt muséographique mais qui présentent un réel intérêt pour les archéologues et leurs recherches.
Au fil du temps, cette collection historique est venue s’enrichir d’autres collections destinées à la recherche en archéologie. Jalès dispose ainsi d’une ostéothèque, autrement dit une collection de squelettes d’animaux, constituée au fil des années. Ces squelettes servent de référence pour comparer et identifier les restes osseux trouvés sur des sites archéologiques. Ils permettent aux archéozoologues d’affiner l’identification des espèces, de déterminer l'âge et le sexe des animaux afin d’améliorer leurs études sur les pratiques alimentaires, l'élevage, la chasse, et l'évolution des animaux domestiques ou sauvages. La commanderie abrite aussi une collection sédimentaire unique au monde. Les prélèvements de stratigraphie archéologique ont été réalisés sur les plus importants sites antiques du pourtour de la Méditerranée : Grèce, Syrie, Liban, Égypte, Tunisie, Maroc, Italie… Là encore, certains échantillons ou carottages sont des témoins uniques de l’histoire et des conditions climatiques, géologiques et environnementales passées du site géographique où ils ont été prélevés. « Pendant dix ans, la Syrie était fermée. Nous disposions donc d’une des rares archives sédimentaires encore accessibles sur ce pays. D’autres pays du pourtour méditerranéen, comme l’Égypte et la Grèce, ont en outre modifié leur législation pour rendre difficile, voire interdire l’exportation d’échantillons sédimentaires. Nous disposons des rares échantillons disponibles hors de leurs frontières administratives », explique Jean-Philippe Goiran, géoarchéologue au CNRS au sein d‘Archéorient.