« La science est indispensable pour comprendre l’océan et identifier des solutions »
L’année de la Mer 2025, avec en ligne de mire la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan, réaffirme l’importance de placer l’océan au cœur du débat public. À quelques semaines de ce rendez-vous international, Joachim Claudet, conseiller Océan du CNRS, revient sur les enjeux de cette mobilisation, les attentes portées par la recherche, et le rôle que joue le CNRS dans cette dynamique mondiale.
Quelles sont les attentes de la communauté scientifique vis-à-vis de la 3e conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3), co-organisée par la France et le Costa Rica, qui aura lieu du 9 au 13 juin à Nice ?
Joachim Claudet : Plusieurs annonces sont attendues lors de l’UNOC3, à commencer par la question des grands fonds marins qui sera centrale et alors que plusieurs coalitions d’États sont en cours de constitution, autour d’un objectif commun : une gouvernance responsable et fondée sur la connaissance. L’UNOC pourrait aussi jouer un rôle d’accélérateur de ratification du traité BBNJ (Biodiversity Beyond National Jurisdiction), catalyseur potentiel d’une nouvelle gouvernance de la haute mer. Autre sujet sensible : les aires marines protégées (AMP). L’heure n’est plus à multiplier les annonces de nouvelles AMP, mais à garantir la qualité de leur gestion. L’objectif fixé par la Commission européenne — 10 % d’aires en protection stricte — suppose une reconnaissance commune de standards internationaux robustes. Enfin, une prise de position claire sur la décarbonation du transport maritime, l’un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre, est également attendue.
Un point de vigilance demeure cependant : la multiplication des engagements sans suite concrète. La communauté scientifique, fortement mobilisée à l’interface entre science et décision, alerte sur les limites de cette dynamique. Si les engagements restent sans traduction opérationnelle, si la redevabilité fait toujours défaut, ce sont les chercheurs eux-mêmes qui risquent de se désengager.
Le CNRS est coorganisteur du One Ocean Science Congress (OOSC), pilier scientifique de l’UNOC3. Quelles sont ses ambitions ?
J. C. : Le One Ocean Science Congress, organisé du 3 au 6 juin à Nice - en amont de l’UNOC3, a pour ambition de réaffirmer le rôle central de la science dans les processus de décision internationale, non seulement comme productrice de connaissances, mais comme moteur et accompagnatrice des politiques publiques. C’est la première fois qu’une conférence scientifique a lieu en amont d’une conférence onusienne. En ce sens, l’OOSC devient bien plus qu’un congrès scientifique : c’est une plateforme de gouvernance informée par la méthode scientifique, dans laquelle le CNRS joue un rôle structurant. Et c’est dans ce cadre que l’OOSC dévoilera plusieurs recommandations pour l’océan – recommandations qui serviront de socle pour les discussions politiques de la conférence onusienne.
Le congrès se positionne donc comme un espace de transparence, capable d’identifier les lacunes de mise en œuvre, de pointer les zones grises et de proposer des stratégies de comblement de ces gaps. Et, en cartographiant ce que l’on sait — et ce qu’on ignore encore —, le congrès vise à construire les futurs programmes de recherche, à orienter les financements internationaux, et à faire émerger de nouveaux sujets structurants. La géo-ingénierie, par exemple, fait partie des thématiques émergentes qui y seront discutées, dans une perspective critique et documentée.
Pourquoi est-il aujourd’hui crucial d’investir dans la recherche océanique ?
J. C. : La science joue un rôle clé pour atteindre l’Objectif de Développement Durable (ODD) 14 des Nations unies, en apportant les connaissances nécessaires à la protection des écosystèmes marins et à la définition de compromis éclairés entre enjeux environnementaux, sociaux et économiques. L’océan, en particulier la haute mer, reste largement méconnu malgré son importance cruciale, ce qui rend indispensable un investissement soutenu dans la recherche. Parmi les initiatives attendues pour combler ce déficit de connaissance figure une mission d’envergure inédite, conçue comme l’équivalent maritime des grandes explorations spatiales. Elle ambitionne de structurer une gouvernance scientifique internationale afin de mieux comprendre et préserver l’océan, en lien avec la mise en œuvre du traité BBNJ.
Comment le CNRS s’empare-t-il de la thématique de l’océan ?
J. C. : À la fois régulateur du climat, refuge pour la biodiversité et ressource essentielle pour des millions de personnes, l’océan fait aujourd’hui face à des pressions croissantes. Parmi elles : surpêche, pollution plastique, exploitation des grands fonds et acidification. Le CNRS est largement impliqué dans sa sauvegarde et sa défense.
Avec plus de 1000 scientifiques mobilisés dans une cinquantaine de laboratoires, le CNRS est l’un des tout premiers organismes de recherche au monde capables de composer de multiples alliances entre toutes les disciplines – océanographie, physique, sociologie, biologie, écologie, géologie, mathématiques, chimie, économie et même philosophie – pour étudier l’océan dans toutes ses dimensions. Grâce à cette couverture disciplinaire unique, le CNRS est impliqué dans l’ensemble des grands thèmes abordés par l’UNOC3 et son pilier scientifique, l’OOSC. D’ailleurs, le CNRS coorganise trois événements parallèles dans le cadre de l’UNOC3, dont deux à Villefranche-sur-Mer le 10 juin consacrés à l’observation océanique, un domaine où il possède une expertise interdisciplinaire rare à l’échelle internationale. Le troisième side event, centré sur l’équité océanique, visera à intégrer la justice sociale dans les politiques marines, avec une attention particulière portée aux enjeux de l’économie bleue et au rôle croissant des sciences humaines et sociales.
Le CNRS copilote aujourd’hui quatre programmes nationaux de recherche France 2030 liés à l’océan : BRIDGES, Océan et Climat, Grands fonds marins et ATLASea, qui couvrent des enjeux allant de la gestion durable des ressources à la biodiversité marine. Il anime également le GDR OMER, un groupement de recherche interdisciplinaire qui fédère des laboratoires de plusieurs organismes et agit comme incubateur d’idées pour les futures politiques scientifiques. Afin de structurer ses actions, le CNRS a aussi élaboré une stratégie océanique appuyée sur une Task Force regroupant ses dix instituts. Dans le cadre de l’Année de la Mer 2025, il développe des actions de médiation, avec notamment un Carnet de science dédié, une série de film de CNRS Images, une exposition photo et des événements comme les journées OMER en avril dernier.