Laboratoire commun ICARE : Safran et le CNRS à l’écoute des matériaux pour une aviation décarbonée
Pour aider à concevoir les moteurs plus légers et performants de demain, Safran et l’IRDL ont inauguré le laboratoire commun ICARE. Ce partenariat stratégique s’appuie sur une technologie de rupture, fondée sur l’analyse thermique des matériaux, afin d’accélérer leur caractérisation et contribuer à la décarbonation de l’aviation.
Face à la pression climatique, l’industrie aéronautique vit une transformation majeure. Concevoir des moteurs moins énergivores implique de repousser les limites des matériaux, en cherchant à la fois à les alléger, les renforcer et les rendre plus résistants aux températures extrêmes. « Nous sommes en recherche constante de nouveaux alliages, de nouveaux matériaux, dans une optique de décarbonation », explique Lionel Marcin, expert en mécanique des matériaux et pilote d’ICARE pour Safran.
Cette quête de performance suppose d’innover à un rythme inédit. Or, un frein majeur subsiste : les tests de fatigue, indispensables pour prédire la durée de vie des pièces, sont par nature chronophages. Ils nécessitent parfois des millions de cycles avant rupture, et donc plusieurs mois de mesures. Pour gagner en efficacité, les ingénieurs ont besoin d’une méthode capable de prédire rapidement la résistance d’un matériau, tout en respectant la rigueur scientifique exigée dans l’aéronautique. C’est précisément cette avancée qu’apporte la recherche menée à l’Institut de recherche Dupuy de Lôme (IRDL)1 – dont le CNRS est cotutelle – depuis une dizaine d’années.
Une signature thermique pour prédire la durée de vie
La solution repose sur une approche inédite : écouter la matière à travers sa température. Les chercheurs de l’IRDL ont mis au point une méthode dite « d’auto-échauffement », qui consiste à observer la très légère élévation de température d’un matériau soumis à des sollicitations cycliques. Ce signal, quasi-imperceptible, renferme pourtant une foule d’informations sur l’état interne de la matière.
« Le matériau nous délivre un message à travers cette signature thermique. Si je fais le parallèle avec ce qu’on ressent quand on est malade, on a de la fièvre, on prend de la température, notre corps délivre un message. C’est exactement pareil pour un matériau », explique Sylvain Calloch, enseignant-chercheur en mécanique à l’ENSTA campus de Brest et directeur du laboratoire commun.
Cette technique change la philosophie même du test. Plutôt que d’attendre la rupture, les chercheurs interprètent la réponse thermique du matériau pour en déduire son comportement à long terme. Résultat : une réduction d’un facteur 100 du temps nécessaire aux essais. Des campagnes qui s’étendaient sur des mois peuvent désormais être bouclées en quelques jours.
« On a bien conscience d’être sur une technologie qui peut s’avérer différenciante dans le cadre de nos études matériaux et procédés », souligne Lionel Marcin. Ce savoir-faire, fruit d’une longue tradition française d’excellence en mécanique expérimentale, a convaincu Safran d’en faire un axe de recherche stratégique.
Dix ans de collaboration scientifique autour des moteurs du futur
ICARE est l’aboutissement d’une décennie de collaboration entre les deux partenaires. « C’est une relation qui se construit dans le temps et qui repose sur des relations de confiance », rappelle Lionel Marcin. Les premières études exploratoires ont permis à Safran d’évaluer le potentiel de la méthode sur ses propres matériaux. La création du laboratoire commun ICARE s’est alors imposée comme la suite logique de cette coopération fructueuse.
Aujourd’hui, une vingtaine de chercheurs et techniciens permanents de l’IRDL travaillent au sein du laboratoire et six thèses ont déjà été engagées. La feuille de route scientifique d’ICARE s’articule autour de quatre axes prioritaires.
Le premier concerne l’intégrité des surfaces, afin de distinguer le comportement du matériau en cœur et en surface après différents traitements thermiques. Le second vise à mieux comprendre la réponse des matériaux soumis à des chargements complexes, plus représentatifs des contraintes réelles en vol. Un troisième volet s’intéresse à l’analyse des conditions extrêmes, notamment pour les matériaux utilisés dans les turbines à haute température. Enfin, les chercheurs explorent les propriétés de nouveaux composites tissés 3D, à matrice polymère ou céramique, appelés à jouer un rôle clé dans les moteurs LEAP et le futur programme CFM RISE.
© IRDL
Former les experts de demain
La réussite du projet repose aussi sur un enjeu humain. ICARE ne se limite pas à produire des connaissances, il forme la nouvelle génération d’experts capables de déployer cette technologie. « Sans ces jeunes talents, on n’avancerait pas à la même vitesse », insiste Sylvain Calloch. Les doctorants, encadrés par les chercheurs de l’IRDL et les ingénieurs de Safran, deviennent de véritables passeurs entre les deux mondes.
« Ce dispositif permet de former des personnels déjà sensibilisés à nos problématiques industrielles », ajoute Lionel Marcin. Safran souhaite à terme internaliser la compétence, en intégrant cette méthode de caractérisation dans ses propres laboratoires d’études et chez ses fournisseurs.
Le laboratoire commun ICARE illustre parfaitement la complémentarité entre la recherche publique et l’industrie. En conjuguant excellence scientifique, innovation appliquée et formation, il incarne un modèle de coopération vertueuse au service de la décarbonation de l’aéronautique. « C’est ce qui fait que cette collaboration fonctionne, c’est que chacun s’y retrouve, avec un grand respect mutuel », conclut Sylvain Calloch.
- 1CNRS/Université de Bretagne Sud/ENSTA/Université de Bretagne Occidentale/Bretagne INP