Laboratoire commun P2R : réacteur d’innovation pour la radioprotection

Innovation

Le laboratoire commun P2R, réunissant l’entreprise Carmelec et le laboratoire LP2I, a récemment été prolongé jusqu’en 2028. Un second renouvellement qui témoigne de la réussite de cette collaboration portant sur l’innovation en radioprotection, ayant déjà abouti au développement et à la commercialisation d’un appareil de mesure de la contamination radioactive.

Entreprise française créée au début des années 1990, Carmelec est spécialiste des solutions de mesure physique. Plus spécifiquement, elle intervient dans deux domaines d’activité principaux : le contrôle non destructif – en particulier pour les industries aéronautique, automobile, ferroviaire et maritime – et la radioprotection, via le développement d’outils mesurant les rayonnements ionisants. Un sujet qui concerne, bien sûr, EDF et ses centrales nucléaires, mais aussi d’autres secteurs dans lesquels les travailleurs peuvent être exposés à des rayonnements, tels que les soudeurs industriels, l’agroalimentaire, ou encore le médical.

Mesurer la contamination radioactive au plus près du chantier nucléaire


C’est en 2012 que Carmelec s’est rapprochée du Laboratoire de Physique des Deux Infinis de Bordeaux (LP2I, CNRS/Université de Bordeaux) - qui s’appelait alors le Centre d'Études Nucléaires de Bordeaux-Gradignan (CENBG). « À l’origine, la démarche a été impulsée par Maxime Karst, qui travaillait chez nous en tant qu’ingénieur, après des études auprès du CENBG », se souvient Vincent Maussire, responsable commercial et cogérant de Carmelec. « Il a, dès lors, entamé une thèse CIFRE afin de répondre à un besoin exprimé par EDF. »

Le groupe français souhaitait mesurer l’éventuelle contamination radioactive de ses travailleurs à la sortie de ses chantiers, notamment de bâtiments réacteurs. Problème : aucun appareil n’était alors capable d’effectuer ces mesures sur place. « À cet endroit, le rayonnement est très intense, en raison de la proximité du réacteur, ce qui provoque la saturation et le dysfonctionnement des équipements traditionnels », explique Thibaud Le Noblet, ingénieur en instrumentation nucléaire chez Carmelec. « Seule solution : s’éloigner de cette zone à fort rayonnement, mais avec le risque de potentiellement disperser une contamination radioactive… EDF cherchait donc à savoir s’il était possible de mettre au point un dispositif pouvant mesurer la contamination au plus près du chantier. » La thèse de Maxime Karst, achevée en 2016, a apporté une réponse favorable, démontrant la faisabilité d’un tel projet.

Test du contaminamètre ECHO en CNPE © P2R

De la recherche amont au produit commercialisé


Depuis, ce dernier a pu voir le jour grâce à la collaboration entre les deux entités. Le produit a été fabriqué et industrialisé par Carmelec, à partir des recommandations des chercheurs, et est désormais commercialisé sous le nom d’Echo, un contaminamètre détectant et mesurant la contamination en rayonnement bêta. « Ce qui est remarquable dans ce projet, c’est que nous sommes passés d’un TRL 0 à un TRL 91  », souligne Ludovic Mathieu, chercheur en physique nucléaire au LP2I et directeur du laboratoire commun.

Pourquoi Echo s’intéresse-t-il uniquement au rayonnement bêta ? « Il s’agit d’une radioactivité à laquelle les travailleurs des chantiers des centrales nucléaires sont particulièrement exposés et qui présente des risques pour leur santé », indique Vincent Maussire. « Mais le défi consiste à savoir la discerner des autres rayonnements présents, en particulier le gamma. Toute la spécificité d’Echo réside justement dans sa capacité à soustraire le bruit de fond représenté par les rayons gamma à la mesure du rayonnement bêta, et ce, à un niveau de précision correspondant aux exigences élevées d’EDF. »

Un laboratoire commun pour consolider la collaboration


La réussite de ce premier projet commun et la relation de confiance instaurée à cette occasion ont rapidement incité les deux partenaires à approfondir leur collaboration. C’est ainsi qu’est né le laboratoire commun Physique des Particules pour la Radioprotection (P2R), officiellement inauguré en février 2018 et réunissant alors deux autres laboratoires : le Centre de Physique des Particules de Marseille (CCPM, CNRS/Aix-Marseille Université) et le Laboratoire Souterrain de Modane (LSM, CNRS/Université Grenoble Alpes). « Cette structure nous donnait l’opportunité de nous impliquer à long terme sur des travaux avec une application concrète et d’importance capitale : la radioprotection », témoigne Ludovic Mathieu, qui a pris la direction de P2R à la suite de Cédric Cerna, chercheur en physique des particules au LP2I s’étant grandement impliqué dans le laboratoire commun.

Au-delà de donner un cadre aux travaux déjà amorcés – comme ceux ayant conduit à la réalisation d’Echo –, la création de P2R favorisait l’exploration de nouveaux sujets, tels que la détection de neutrons ou la mesure du radon, devenu obligatoire pour certains logements et établissements. « À l’époque, les détecteurs de radon étaient sensibles à l’humidité, ce qui est gênant étant donné que les mesures s’effectuent généralement dans des zones souterraines, donc souvent humides », précise Thibaud Le Noblet. « Il nous fallait ainsi trouver une technique de mesure indépendante de l’humidité. »

Scintilleur testé dans le cadre des activités du laboratoire commun © P2R

De la radioprotection au contrôle non destructif


Le laboratoire commun a rapidement donné satisfaction à Carmelec et au LP2I, qui ont décidé de le prolonger en 2020, pour une durée supplémentaire de quatre ans. « La réussite de P2R s’explique notamment par la complémentarité des deux entités », observe Ludovic Mathieu. « Nous apportons notre compétence de recherche scientifique et Carmelec sa connaissance des besoins des industriels et sa capacité d’industrialisation. » Avec ce renouvellement, les deux partenaires ont souhaité fluidifier les travaux de recherche en recentrant P2R sur leur collaboration historique, sans impliquer de nouveau les deux autres laboratoires présents à sa création.

Une réorientation couronnée de succès, comme en témoigne la nouvelle prolongation conclue, en juillet 2024, par l’entreprise et le laboratoire bordelais. Jusqu’à son terme prévu en 2028, cette troisième édition de P2R permettra de poursuivre les travaux sur les problématiques de radioprotection, tout en ajoutant une nouvelle thématique, chère à Carmelec : le contrôle non destructif. « À vrai dire, si le laboratoire commun était – comme son nom l’indique – jusqu’alors consacré à l’innovation en radioprotection, certains sujets tendaient déjà vers des applications en contrôle non destructif », note Thibaud Le Noblet. « Il nous a donc semblé logique d’inclure également ce domaine de recherche. Ainsi, si nous nous intéressons à de nouvelles pistes autour du contrôle non destructif, nous pourrons les explorer dans le cadre de P2R. »

  • 1L’échelle TRL (Technology readiness level) évalue le niveau de maturité d’une technologie jusqu’à son intégration dans un système complet et son industrialisation. conçue initialement par la Nasa et l’ESA pour les projets spatiaux, elle compte neuf niveaux.