Le laboratoire commun DISC-AER donne corps à l’avion électrique

Innovation

Révolutionner la mobilité interrégionale grâce à l’aviation électrique : tel est l’objectif de la start-up eenuee. Pour y parvenir, l’entreprise s’est associée avec le Laboratoire Georges Friedel en créant le laboratoire commun DISC-AER. Ensemble, les deux partenaires conçoivent un fuselage innovant réduisant significativement la consommation d’énergie de l’avion, grâce à de nouveaux matériaux composites thermoplastiques.

Fondée en 2019, la start-up eenuee ambitionne de décarboner le monde de l’aviation. À cet effet, elle développe GEN-ee : un avion 100 % électrique, efficace énergétiquement, pouvant atterrir et décoller sur de courtes distances et accueillir 19 passagers. L’aéronef serait ainsi particulièrement adapté à la mobilité interrégionale, pour des distances allant jusqu’à 500 km. « Nous avons également des demandes venant d’autres secteurs, comme le transport de marchandises : il s’agirait alors de transformer nos appareils en drones », ajoute Benjamin Persiani, CEO d’eenuee. « Et une telle déclinaison pourrait aussi s’appliquer à des domaines tels que la défense. »

Réduire la consommation d’énergie grâce au fuselage porteur


Si l’entreprise a déjà testé – avec succès – un démonstrateur de son avion à l’échelle 1/7, elle poursuit ses travaux de R&D afin d’améliorer ce premier modèle et d’augmenter graduellement ses dimensions. C’est pourquoi elle s’est rapprochée du Laboratoire Georges Friedel (LGF, CNRS/Mines Saint-Étienne) au début de l’année 2023. « Nous venions de conclure une chaire industrielle avec la société américaine Hexcel, leader mondial des matériaux composites pour l’aéronautique », se souvient Sylvain Drapier, professeur à Mines Saint-Étienne et membre du LGF. « Avec eenuee, nous avons rapidement souhaité travailler ensemble et il nous fallait une structure pour encadrer notre collaboration. Le laboratoire commun s’y prêtait parfaitement, dans la mesure où il nous permettait de réfléchir à une vision scientifique commune et de poser, dès le début, le cadre de travail idéal. »

C’est ainsi qu’est né le laboratoire commun Décarbonation par l’Industrialisation de Structures Composites thermoplastiques pour l’Aviation Électrique Régionale (DISC-AER) – en réponse à l’appel à projets LabCom 2024 de l’Agence nationale de la recherche (ANR) –, officiellement inauguré le 16 octobre 2025 et prévu jusqu’en mars 2029. Celui-ci vise à contribuer à une innovation d’eenuee : le fuselage porteur, ou Blended Wing Body (BWB). Contrairement à un aéronef ordinaire – constitué d’un tube central, le fuselage, encadré par deux ailes –, l’avion GEN-ee prend en effet la forme d’une « aile volante » – une structure unie comprenant à la fois le fuselage et les ailes. Une architecture répartissant la portance sur l’ensemble de l’appareil, améliorant ainsi son aérodynamisme, et donc son efficacité énergétique.

Pourquoi cette constitution avantageuse n’est-elle pas davantage répandue ? « Si le concept de fuselage porteur est connu depuis longtemps, son recours est désormais favorisé par les progrès technologiques, en particulier sur les matériaux », souligne Benjamin Persiani. « Or, la plupart des avions actuels reposent sur des technologies assez anciennes. Et surtout, la forme traditionnelle en cylindre est plus facile à pressuriser. » Une fonction indispensable aux vols long-courriers, mais dont GEN-ee peut, au contraire, s’affranchir, puisque l’avion ne vise que des trajets courts, à une altitude modérée.

Une innovation propulsée par de nouvelles résines thermoplastiques


L’intégration de matériaux composites thermoplastiques dans la structure du BWB ouvre également des voies prometteuses vers une optimisation de la structure et de son cycle de vie.  « Les avions traditionnels sont constitués de fibres de carbone, liées à l’aide d’une résine polymère thermodurcissable », explique Sylvain Drapier. « Celle-ci durcit à haute température, ce qui offre des propriétés mécaniques intéressantes, mais cet état est alors irréversible. Et en fin de vie, il est très difficile de dissocier les fibres de carbone de la résine, ce qui rend le recyclage complexe. À l’inverse, les composites thermoplastiques offrent de la réversibilité : sous l’effet de la chaleur, ils peuvent se ramollir, voire se liquéfier, ce qui facilite leur dissociation des fibres. De plus, ils présentent une grande capacité d’absorption des chocs, une caractéristique essentielle en aéronautique. »

En outre, les propriétés remarquables des thermoplastiques offrent de nouvelles perspectives d’assemblage. Au lieu d’employer des techniques classiques telles que le rivetage ou le collage, les pièces peuvent en effet être soudées via un soudage autogène, c’est-à-dire sans apport de matière extérieure. L’opération consiste alors à chauffer le matériau pour l’amener jusqu’à son point de fusion, puis à appliquer une pression, créant ainsi une zone de soudure homogène et résistante.

Néanmoins, jusqu’à présent, le recours aux résines thermoplastiques se heurtait à un écueil : leur température de mise en œuvre, entre 250 et 400 °C, et leur viscosité élevée, qui nécessitaient beaucoup d’énergie et des outillages spécifiques. Un verrou levé ces dernières années grâce au développement de produits de nouvelle génération, à l’instar de la résine Elium®, du fabricant français Arkema, qui peut être mise en œuvre à température ambiante et possède une fluidité favorisant l’utilisation de procédés déjà utilisés pour les résines thermodurcissables.

Avion amphibie de 19 passagers © eenuee

 

Objectif 2033 pour l’avion électrique GEN-ee


Ce matériau sera au cœur des travaux de recherche menés dans le cadre de DISC-AER. « Nous allons nous appuyer sur un procédé que nous maîtrisons : l’infusion de résine liquide », dévoile Sylvain Drapier. « Cela nous permet d’utiliser des équipements que nous possédons déjà. Il nous faut toutefois adapter ce procédé à la résine Elium®, en particulier contrôler sa stabilité physico-chimique durant la mise en œuvre. » De même, l’équipe du laboratoire commun étudiera la question du soudage et cherchera à déterminer les paramètres optimaux de cette opération qui met en jeu des phénomènes aussi bien thermiques et mécaniques que physico-chimiques.

Enfin, les chercheurs s’appuieront sur ces innovations pour explorer de nouvelles méthodes de conception de GEN-ee, par exemple en introduisant une plus grande modularité. In fine, l’objectif sera de réduire les coûts de conception et de réalisation de l’avion, un gain qui s’ajoutera aux économies offertes, durant son exploitation, par la meilleure efficacité énergétique de l’aéronef et ses coûts de maintenance réduits.

Ces nouveautés seront progressivement intégrées au démonstrateur à l’échelle 1/7, en vue de réaliser des tests en conditions réelles, via une instrumentation en vol. Les retours recueillis aideront ensuite à sélectionner ou à ajuster les innovations les plus pertinentes. Celles-ci pourront alors suivre la montée en échelle graduelle des preuves de concept de GEN-ee : eenuee vise à en doubler les dimensions d’ici à fin 2027, avec un démonstrateur de 8 à 10 m d’envergure. Le premier prototype à taille réelle est prévu pour 2029, avec une certification espérée en 2033, dernière étape avant de voir l’avion électrique voler véritablement de ses propres ailes.