Les Jeux de Paris, accélérateurs des recherches sur le sport
Un an après les Jeux olympiques et paralympiques de Paris (JOP), le GDR Sports et activités physiques du CNRS propose un bilan des recherches menées sur ces sujets. Au-delà du rôle d’accélérateur ou de précurseur qu’ont pu jouer les Jeux, le GDR mène une réflexion plus large sur de multiples thématiques, telles que le sport santé, les enjeux d’éducation ou les question liées à l’héritage des JOP.
« Les Jeux de Paris ont permis une rencontre historique entre l’Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), les fédérations sportives et les laboratoires de recherche », s’enthousiasme Audrey Bergouignan, directrice du groupement de recherche (GDR) Sports et activités physiques en ouverture d’un colloque le 19 septembre au siège du CNRS, à Paris. Comme bon nombre de participants à cette journée, la directrice reconnaît qu’il y aura un avant/après les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de 2024.
Jeux à domicile oblige, l’État français avait fortement investi dans les sciences pour augmenter le nombre de médailles tricolores. En 2019 voyait ainsi le jour le premier programme d’ampleur consacré à la recherche sur le sport élite : le programme prioritaire de recherche (PPR) Sport de Très Haute Performance. Doté par le Secrétariat général pour l'investissement d’un budget de 20 millions d’euros, soit dix fois plus que la somme habituelle allouée à la recherche en amont des JOP, il avait explicitement pour ambition de mobiliser la communauté scientifique pour répondre aux besoins des sportifs de haut niveau afin d'atteindre la plus haute performance. Pour ce faire, douze projets lauréats avaient été retenus à l’issue de deux appels à projets, étudiant tant la natation, la préparation physique ou mentale que le paralympisme. Au total, ce n’est pas moins de 23 fédérations sportives et 130 athlètes – parmi lesquels le triathlète Alexis Hanquinquant, médaillé d’or aux Jeux paralympiques de Paris, et le nageur Maxime Grousset, champion du monde en 100 m papillon en 2023 et 2025 – qui ont bénéficié de l’accompagnement scientifique des 8 organismes nationaux de recherche et 37 laboratoires.
Les sciences derrière les médailles d’or
Avant même les Jeux d’été, fédérations sportives comme scientifiques se félicitaient que ce PPR ait pu les rapprocher et leur faire adopter un langage commun et des méthodes de travail partagées. Avec des résultats directs sur la performance sportive. Rémi Carmigniani en témoigne. Dans le cadre de son projet de recherche « Eau libre », en partenariat avec la Fédération française de triathlon et celle de natation, ce chercheur à l’École nationale des ponts et chaussées au sein du Laboratoire d’Hydraulique Saint-Venant avait notamment étudié la température des eaux de la Seine, où se déroulait l’épreuve de natation. La température détermine en effet l’équipement autorisé pour la course : dans les eaux froides, les athlètes doivent enfiler une combinaison en néoprène, moins favorable aux sportifs et sportives français d’après la cellule technique de la fédération. À l’été 2023, jour du test event à Paris qui offre une qualification aux Jeux un an plus tard, Rémi Carmigniani reçoit, à six heures du matin, un SMS d’un membre de l’équipe technique française, qui s’inquiète que l’organisation juge la température des eaux trop basse. Relevés de sa station météo au pied du Louvre à la main, le chercheur prouve que la mesure est erronée et que les eaux sont plus chaudes. En conséquence, les athlètes pourraient nager dans des combinaisons en tissu, plus propices aux Français et Françaises. Les faits lui donnèrent raison. L’organisation revient sur sa mesure et annonce finalement une température de 20,5°, toujours en deçà de la réalité (23°) mais au-dessus de la limite du néoprène. Dans ces conditions, la triathlète Cassandre Beaugrand enfile une tenue en tissu dans laquelle elle se sent plus à l’aise, se qualifie pour les JOP… et remporte un an plus tard la médaille d’or à Paris.
Même si, à ce niveau de compétition, le succès relève de plusieurs facteurs, il est évident que la mobilisation des scientifiques auprès des équipes sportives a contribué à la moisson de médailles françaises à l’été 2024. Audrey Bergouignan le rappelle : « on a observé une hausse de 12 % des médailles dans les disciplines ciblées par le PPR ». Et de conclure : « À travers ce programme, les JOP ont structuré la recherche française sur le sport, notamment la haute performance ». Au vu de ces résultats plus qu’encourageants, scientifiques comme fédérations sportives désirent poursuivre et structurer leurs collaborations en vue des prochaines olympiades (2026 à Milan-Cortina, 2028 à Los Angeles et 2030 dans les Alpes françaises). C’est tout l’objet du réseau des référents scientifiques au sein des fédérations, un rôle pré-existant aux Jeux de Paris que le PPR a démultiplié. « De 6 fédérations dotées d’un référent scientifique avant 2024, nous sommes passées à 35 depuis les Jeux, se réjouit la directrice du GDR. Ce réseau de référents est essentiel pour identifier les questions scientifiques cruciales pour la performance ; au contact du terrain, ils connaissent le verrou de la performance dans un sport ciblé et le soumettent aux autres scientifiques dans les laboratoires de recherche ». Au plus près des athlètes et des entraîneurs, les référents scientifiques peuvent faire des « sciences une aide à la décision » sportive ajoute Marjolaine Astier, elle-même référente scientifique à la Fédération française handisport.
Compte tenu du succès de ce premier PPR, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et le ministère des Sports ont annoncé le 4 juillet 2025 à l’Insep un second PPR, « Sport de très haute performance et innovation ». Celui-ci vise explicitement à poursuivre l’accompagnement scientifique des athlètes en vue des Jeux d’été de 2028 et des Jeux d’hiver de 2030. Le CNRS y jouera un rôle-clef d’animateur scientifique du programme, aux côtés de l’Agence nationale de la recherche qui en sera l’opératrice.
Du sport élite à l’activité physique
Mais la recherche sur le sport et l’activité physique ne saurait se borner au sport élite. Les personnes présentes à la journée du 19 septembre en convenaient : les Jeux de Paris ont permis d’encourager un certain nombre de recherches dans le domaine au-delà de la haute performance. C’est ainsi le cas des travaux sur le sport et l’environnement. Une table-ronde questionnait l’impact territorial positif des JOP sur la Seine-Saint-Denis, département où se tenait la majorité des épreuves. Pilote des opérations immobilières du groupe Icade Promotion lors des Jeux, Florence Chahid-Nourai voyait en ces derniers des « accélérateurs de la mutation des territoires, qui firent sortir de terre en un temps record des bâtiments neufs (entre 2021 et fin 2023) ». Espiègle, elle invite à changer de perspective en considérant « les Jeux presque comme une anecdote tant c’était le territoire qui était visé de longue date, en témoigne la reconversion un an après les JOP des logements du village des athlètes » à Saint-Ouen. Un propos que rejoint Hélène Dang Vu, chercheuse à l’Université Gustave-Eiffel, qui observe par ailleurs que « les Jeux paralympiques ont contribué à rendre complètement accessible l’ensemble des logements et du quartier, en allant même au-delà des normes ordinaires d’accessibilité ».
Il en va de même pour le sport comme outil éducatif. Au cours d’une keynote, la maîtresse de conférences à l’Université de Bourgogne-Europe Carine Érard passait en revue vingt ans de travaux en sciences humaines et sociales sur le sport. Les sciences avaient pleinement leur place dans l’éducation au sport et par le sport, car, comme le soulignait la scientifique bourguignonne : « Le sport n’est pas éducatif par nature ; il faut toujours créer des conditions pour qu’il le devienne ».
Enfin, par-delà le sport en tant que tel, c’était l’activité physique et ses bienfaits pour la santé dans le cadre de sociétés toujours plus sédentaires qui se trouvait au cœur des débats. Plusieurs interventions rappelaient l’importance de cumuler un large volume d’activité physique pour compenser les effets sanitaires négatifs de modes de vie sédentaires, sachant que les bénéfices sont observables dès les premiers pas. Le CNRS s’inscrit pleinement dans cet effort national avec sa plateforme de recherche participative Mouv’ en Santé, « interrogeant les modes de vie plus ou moins sédentaires, permettant de passer des paroles aux actes par une prévention primaire qui s’appuie sur une expérience personnelle », comme la présente Olivier Rey, son coordinateur national. À ce jour, la plateforme compte d’ores et déjà plus de 4000 personnes inscrites. Avec pour objectif de viser « le mouvement par l’action, l’élan vers l’activité physique et le sport, au-delà des performances », souligne son coordinateur. Un projet dans lequel Audrey Bergouignan relève « un ruissellement du sport élite au sport santé », une thématique qu’elle « espère pouvoir inscrire de manière pérenne comme une priorité de recherche en France ».
Comprendre l’humain dans sa globalité
Un laboratoire inauguré en avril 2025 illustre ce continuum entre sport élite, sport santé et activité physique régulière que le GDR promeut. À Marseille, l’unité d'appui et de recherche HIPE1 s’adresse aussi bien aux athlètes, aux sujets sains qu’aux patients atteints de maladies chroniques. « À l’encontre de l’hyperspécialisation disciplinaire, nous privilégions une approche intégrative, holistique, de façon à comprendre l’humain dans sa globalité », explique son directeur, Denis Bertin. À chaque cible ses services. Aux athlètes, des recherches opérationnelles en vue des prochains Jeux et des innovations technologiques, à l’instar d’une roue connectée pour les sports en fauteuil roulant. Aux patients, des protocoles de soin en lien avec des professionnels de santé et des innovations pour le quotidien, à l’image de fauteuils à roues instrumentées adaptées du handisport pour les personnes à mobilité réduite. Et avec les sujets sains, la production de connaissances scientifiques fondamentales, notamment pour mieux comprendre la thermorégulation humaine et les phénomènes de coups de chaleur à l’heure du dérèglement climatique via une chambre climatique et calorimétrique unique en Europe, où soumettre plusieurs jours durant les personnes volontaires à des conditions particulières (chaud, froid, sec, humide, pression atmosphérique, etc.).
HIPE témoigne de ce travail à plusieurs vitesses que poursuit le GDR Sports et activités physiques. À l’instar des athlètes, la recherche sur le sport adopte deux styles de course : le sprint avant les grandes compétitions et le marathon pour l’activité physique au long cours.
- 1Aix-Marseille Université / CNRS / Institut Paoli Calmettes / Université de Toulon.