Recherche : quel cap pour l’Europe ?
Découvrez la série du CNRS sur les enjeux de la recherche européenne.
Avec vingt pays associés, Horizon Europe s’impose comme le programme de recherche le plus ouvert au monde. Un instrument stratégique pour la science mondiale dont le CNRS s’est pleinement emparé.
Découvrez la série du CNRS sur les enjeux de la recherche européenne.
Le 1er janvier 2024, soit quatre ans jour pour jour après le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) et de ses programmes de recherche, les scientifiques britanniques pouvaient à nouveau participer, d’égal à égal avec ceux des États membres de l’UE, à Horizon Europe - à l’exclusion toutefois d’un certain nombre de projets liés aux technologies dites « critiques » dont le quantique. Dès l’annonce du Brexit, son départ n’était pas encore rendu effectif, que les communautés de recherche britannique et européenne, dont le CNRS, œuvraient déjà pour pousser les autorités de part à d’autre à plancher sur un accord d’association au programme-cadre. Mi-2025, vingt pays hors de l’Union, pouvaient ainsi participer à tout ou partie du programme en vertu d’un tel accord d’association.
« Force est de constater que le Royaume-Uni qui nourrissait une vision problématique de l’Union européenne, s’est rapidement rendu compte que quelque chose fonctionnait très bien, à savoir l’Europe de la recherche. Le programme-cadre pour la recherche et le développement (PCRD) est en mesure de permettre à l’Europe de rester un acteur mondial de référence », analyse Patrick Nédellec, conseiller pour la science et la technologie à l’ambassade de France à Londres. En 2024, le Royaume-Uni est loin de retrouver les niveaux de participation qu’il avait avant de quitter le programme : les ingénieurs de projets européens ayant été licenciés avec les derniers projets européens, le savoir-faire s’est entretemps perdu. « Mais, après première une année en demi-teinte, les résultats pour 2025 sont en nette amélioration », poursuit Patrick Nédellec : les premiers projets remportés ont en effet permis d’embaucher de nouveaux ingénieurs de projet.
Le CNRS et Imperial College, un lien stratégique
« La relation entre la France et le Royaume-Uni est sur une phase extrêmement positive : le fait que ce dernier soit sorti de l’Europe a renforcé la relation bilatérale entre les deux pays et le monde de la recherche britannique est très allant pour développer des partenariats avec la France », complète Patrick Nédellec. Au titre de ces relations bilatérales, figure l’International research center (IRC) entre le CNRS et l’Imperial college, fondé en avril 2022. « La gouvernance du CNRS avait décidé de créer un partenariat privilégié pour maintenir le lien avec les collègues britanniques, le Royaume-Uni étant un pays de premier plan pour l’organisme : troisième pays co-publiant du CNRS, après les Etats-Unis et l’Allemagne, c’est le premier partenaire parmi les pays associés à Horizon Europe », fait valoir Alain Mermet, directeur de la direction Europe et international de l’organisme.
Même si les partenariats bilatéraux développés pendant la période avec le Royaume-Uni ont permis de conserver une importante collaboration, « l’avantage des projets collaboratifs d’Horizon Europe est de réunir différentes parties prenantes, de donner accès à des financements plus ambitieux et de favoriser des synergies d’excellence », ajoute-t-il. Et si l’ANR, côté français, et UKRI côté britannique, ont financé des appels bilatéraux, « le niveau du financement est sans commune mesure avec ce que permet d’obtenir Horizon Europe ».
Sensibiliser les réseaux internationaux
Le CNRS dispose d’environ 90 laboratoires internationaux (IRL) dans 39 pays ainsi que près de 400 projets ou réseaux (International research projects, international research networks) avec 80 pays partenaires. « Une part importante de ces projets représente des opportunités pour Horizon Europe : nous sensibilisons toutes ces collaborations internationales à la possibilité d’élever les ambitions avec des financements plus conséquents via Horizon Europe », détaille Alain Mermet. Ainsi, l’appel à projet AMORCE, du CNRS (appui au montage de projet de recherche en coordination européenne), a vocation à aider les chercheuses et les chercheurs monter un projet européen collaboratif, en finançant des mobilités pour aller à la rencontre de leurs partenaires et former un consortium. « Une attention particulière est portée aux projets collaboratifs qui incluent des partenaires internationaux, associés ou non à Horizon Europe », complète-t-il.
L’Afrique, un continent à l’agenda européen
Un autre outil au service de ces partenariats est le plan pluriannuel de coopérations avec l’Afrique pour renforcer les liens avec le continent africain où seule, pour l’heure, la Tunisie est associée à Horizon Europe, l’Égypte ayant finalisé ses négociations et le Maroc étant en phase de discussion. Pour les autres, la participation reste en effet possible pour certains projets en vertu de la stratégie globale de l’UE avec l’Afrique : la participation du continent a ainsi pu « augmenter de 40 % depuis le début d’Horizon Europe par rapport à Horizon 2020 », déclare Laurent Bochereau, conseiller scientifique de l’UE auprès de l’Union africaine.
« Horizon Europe est le programme le plus ouvert sur le monde, c’est un outil formidable pour nous ! », déclare Alain Mermet. Reconfiguration de l’ordre mondial oblige, parmi les partenaires du CNRS, certains regardent de près les opportunités qu’offre une association à Horizon Europe. C’est ainsi le cas de l’Australie, qui, témoigne-t-il, « se tourne de plus en plus vers l’UE ». « En raison de la situation qui prévaut aujourd’hui aux États-Unis, les yeux se tournent vers l’Union. Cela peut constituer une opportunité pour l’Europe de redoubler d’attractivité et de consolider sa position sur l’échiquier mondial de la science. »
Le virage européen du Canada
Daniel Jutras, recteur de l’université de Montréal et tout nouveau président de U15, une association de quinze grandes universités de recherche du Canada, confirme cette analyse. Le Canada, dont l’accord d’association est entré en vigueur le 1er janvier 2024, « veut réduire la pondération de ses partenariats avec les États-Unis et se tourne vers l’Europe comme partenaire privilégié », développe-t-il. « C’est un message porté par toutes les ambassades du Canada en Europe qui fournissent un effort accru pour tisser des liens avec les partenaires européens. » Les universités ne sont pas en reste pour établir de nouveaux partenariats. En avril 2024, un nouvel IRC « Innovation pour une planète durable » a été inauguré entre le CNRS et l’université québécoise de Sherbrooke. De son côté, le président de U15 témoigne des nombreuses visites effectuées en Europe de recteurs d’universités « venus faire valoir les atouts de leur établissement. »
En 2022, l’université de Montréal a ouvert à Paris un bureau de représentation en Europe, « point de départ de sa stratégie ». « Je me suis déplacé, ainsi que ma vice-rectrice aux affaires internationales, pour rencontrer les partenaires européens et nouer des contacts étroits avec les représentations diplomatiques à Bruxelles. Nous voulons renforcer notre visibilité en Europe. »
Former et convaincre
Au-delà de ce travail « en externe », cette nouvelle impulsion vers l’Europe demande aux universités « beaucoup de travail en interne pour sensibiliser les scientifiques ». « Nous avons formé nos équipes de soutien pour ajouter cette flèche à notre éventail d’opportunités de recherche. Ce n’est pas toujours facile car nos chercheurs et nos chercheuses sont plus habitués à former des projets dans les programmes québécois et canadiens, il faut les amener à réfléchir différemment », poursuit Daniel Jutras. Ainsi, l’université de Montréal compte une équipe de trois personnes dédiées à l’international dont une se consacre spécifiquement aux projets Horizon Europe et conduit des ateliers de sensibilisation. L’université a également mis en place un petit fonds d’amorçage pour faciliter la préparation des projets. Le recteur estime également nécessaire de renforcer « le maillage avec le tissu industriel » pour accéder aux projets européens. « Le nouveau gouvernement canadien se fait beaucoup entendre au sujet du transfert de connaissance vers l’économie et les gouvernements européens sont aussi très pressés d’obtenir des résultats. Ici comme là-bas nous avons des structures de financement qui favorisent encore beaucoup la recherche fondamentale », ajoute-t-il.
« La réputation de la lourdeur administrative des programmes européens, même si l’on doit reconnaître les efforts de la Commission européenne avec par exemple le financement par somme forfaitaire (Lump Sum), dépasse malheureusement les frontières », complète de son côté Alain Mermet qui témoigne « des nombreuses questions » à ce sujet de la part des partenaires de pays associés à Horizon Europe (Canada, Corée du Sud, Nouvelle Zélande) ou en discussion avec la Commission européenne pour une association (Japon, Australie). « Grâce à sa stratégie Europe, le CNRS dispose désormais d’un large contingent d’ingénieurs de projets européens, prêts et motivés à accompagner les scientifiques et leurs partenaires internationaux dans le montage de projets européens », poursuit-il, en gage de la volonté du CNRS à accompagner ses partenaires dans l’aventure européenne.