Moins de plastique en recherche : les laboratoires ouvrent la voie

Institutionnel

Alors que les conséquences environnementales et sanitaires de l’usage du plastique sont mieux évaluées et étudiées, un certain nombre de laboratoires de recherche s’efforcent de mesurer l’empreinte plastique qu’ils génèrent, pour mieux la réduire.

Début 2024, une robe fit sensation au traditionnel gala de la science à Vienne. Son camaïeu de bleu illuminant les marches de l’hôtel de ville ne provenait pas d’une nouvelle teinte… mais de 400 gants en nitrile collectés par l’Institute of Science and Technology Austria (Ista). Une façon de révéler au grand jour, pour l’artiste Saki et l’Ista, la prégnance du plastique dans les laboratoires de recherche.

Plus récemment, une étude a en effet montré qu’au niveau mondial, un biologiste utilisait jusqu’à vingt fois plus de plastique (1 tonne par an) qu’un citoyen européen. Toutes disciplines confondues, la science pèse pour 2 % des déchets plastiques à l’échelle du globe. Ces chiffres impressionnent d’autant plus que le plastique a envahi les laboratoires de recherche en à peine vingt ans. Nathalie Gontard, directrice de recherche à INRAE, revient sur l’usage du plastique en science : « Dans les années 1970-1980, une première vague de plastique a vu l’apparition d’objets inédits, comme les petits cônes pour le prélèvement des produits de très petite quantité. Au cours des années 2000, une seconde vague a généralisé dans les laboratoires l’usage du plastique, peu cher et jetable ». C’est l’avènement des sacs en plastique, blouses en polyester, récipients, gants et lunettes à usage unique… et la disparition des objets en coton, bois, métal ou verre qui peuplaient jusqu’alors les laboratoires.

Calculer l’empreinte plastique de la recherche

Or, en plus de sa lourde empreinte carbone, ce dérivé de l’industrie pétrolière est à l’origine d’une pollution mondiale, de la terre aux océans et désormais jusqu’à l’intérieur des organismes vivants. Devant cette menace grandissante et alors que la production de plastique ne cesse de croître, de nombreuses unités de recherche françaises s’associent au sein de Redplast_up, un projet de recherche inter-instituts inédit, soutenu par l’ANR au titre du programme d’investissements d’avenir, que copilote Juliette Rosebery, directrice adjointe de l’Observatoire aquitain des sciences de l’univers, rattaché à CNRS Terre & Univers. « Redplast_up ambitionne, d’une part, de faire le bilan de la consommation de plastique des laboratoires et, d’autre part, de collecter des protocoles alternatifs, de façon à mettre au point une base de données et un calculateur d’empreinte environnementale à destination des laboratoires désireux de réduire leur empreinte plastique », explique-t-elle. 

Cette bibliothèque, actuellement en cours de constitution via le recrutement de tout laboratoire qui souhaiterait réduire sa consommation de plastique, est pleinement soutenue par le CNRS. Ce dernier a en effet fait figurer la maîtrise de ses pollutions et déchets, entre autres plastiques, parmi les cent actions de son schéma directeur développement durable et responsabilité sociétale. Blandine De Geyer, sa référente nationale transition environnementale, espère « beaucoup de cette bibliothèque de protocoles sobres, écoresponsables, car elle permettra aux laboratoires de recherche d’éviter, de substituer ou d’optimiser l’utilisation de ces différents plastiques, tout en évitant les impacts sur l’expérimentation en elle-même et la sécurité des agents ».

L'artiste Saki dans sa robe composée de gants de laboratoire en nitrile au bal des sciences de Vienne
L'artiste Saki dans sa robe composée de gants de laboratoire en nitrile au bal des sciences de Vienne© Saki / Toma Susi

Optimiser, réutiliser et remplacer le plastique

Parmi ces protocoles alternatifs, on retrouve ceux expérimentés par Laurence Salomé et son équipe de sept laboratoires toulousains, bénéficiaires en 2023 de l’appel à défis CNRS Bas Carbone. Pendant plusieurs mois, la directrice de recherche CNRS et référente développement durable à l’Institut de pharmacologie et biologie structurale1  a testé des conditions de réutilisation du plastique à usage unique sans risque de dérive pour des cultures biologiques ou de contamination pour des solutions chimiques. Elle montre d’une part qu’il est possible de réutiliser au moins quatre fois des flasques2  pour la culture de cellules eucaryotes sans impact ni sur la mortalité cellulaire ni sur le protéome3  de lignées cellulaires. Avec un simple rinçage au tampon salin, leur réutilisation représente « sans aucun doute un gain de temps et d’argent par rapport au rachat, au stockage et à l’élimination des déchets entraînés par un usage unique », constate la scientifique toulousaine. D’autre part, certains des tubes en plastique les plus utilisés en biologie peuvent fausser les résultats en raison d’une contamination des solutions qu’ils contiennent par les adjuvants du plastique dès la première utilisation. « Rincer trois fois les tubes à l’eau ultra-pure avant leur première utilisation – et avant chaque réutilisation – pourrait améliorer la reproductibilité des observations scientifiques », note Laurence Salomé.

Certaines équipes de Redplast_up ont aussi substitué au dérivé du pétrole d’autres matériaux nettement plus durables, en remplaçant par exemple les blouses et charlottes en polyester par des vêtements en coton4  ou les récipients en plastique par des contenants en verre5 . En parallèle, d’autres chercheuses d’INRAE ont voulu prouver objectivement les bienfaits écologiques du verre réutilisable par rapport au plastique à usage unique, même pour des utilisations nécessitant des procédures drastiques de lavage et de stérilisation, à travers l’outil de calcul EcoLabWare, désormais intégré à la plateforme Apps 1Point5. Sa conclusion est sans appel : la réutilisation reste dans tous les cas meilleure et plus avantageuse que le plastique à usage unique.

  • 1CNRS / Université Toulouse III – Paul-Sabatier.
  • 2Flacons à face plate qu’on pose à plat et sur lequel on fait de la culture de cellules adhérentes.
  • 3Ensemble des protéines exprimées dans une cellule, une partie d'une cellule (membranes, organites) ou un groupe de cellules (organe, organisme, groupe d'organismes) dans des conditions données et à un moment donné
  • 4Au laboratoire Ingénierie des agro-polymères et technologies émergentes.
  • 5À l’Institut Micalis.
La robe portée par Saki au bal de Vienne en 2025
La robe portée par Saki au bal de Vienne en 2025© Saki

Freins et limites à la déplastification

Cependant, si les vertus du verre et autres matériaux durables sont si évidents, pourquoi les laboratoires de recherche n’abandonnent-ils pas dès à présent le plastique ? Les équipes de Redplast_up sont d’accord : une déplastification totale de la science n’est ni faisable, ni même souhaitable. D’une part, car « certains plastiques sont difficilement remplaçables, par exemple lorsqu’on souhaite prélever des micro-volumes », juge Juliette Rosebery. D’autre part, parce que « certaines alternatives – notamment celles fondées sur la réutilisation – peuvent engendrer une surcharge de travail ».

Cette problématique du temps de travail supplémentaire induit par le lavage, le séchage, voire l’autoclavage1  des instruments réutilisables – qu’ils soient en verre ou en plastique – pèse d’autant plus sur les équipes des laboratoires que le nombre de personnels techniques et les laveries ont drastiquement diminué, sinon disparu depuis l’avènement du plastique jetable. Laurence Salomé s’en rend bien compte, elle qui sait d’avance que la réutilisation et le stockage de tubes en plastique dans son laboratoire exigerait du temps, de la place et de l’organisation. À ses yeux, la déplastification de la science, loin d’être une seule question technique, est « un choix politique avant tout ». Et de trancher : « La transition environnementale de la recherche ne se fera pas sans moyens humains supplémentaires ».

  • 1L’autoclavage consiste à utiliser la vapeur d’eau à haute température et sous forte pression pour assurer la stérilisation de milieux de culture, de matériels, de consommables ou autres instruments pouvant supporter ce traitement.
Macroplastiques prélevés sur les plages de la côte est de la Guadeloupe
Macroplastiques prélevés sur les plages de la côte est de la Guadeloupe© Cyril FRESILLON / PEPSEA / CNRS Images

Le CNRS bannit le plastique de sa restauration collective

Bien qu’elle génère en proportion moins de déchets que les laboratoires de recherche, la restauration collective engendre elle aussi quantité de plastiques, qui plus est en contact direct avec les usagers. Depuis le 1er janvier 2020 et conformément à la loi Egalim, le CNRS a supprimé tous les ustensiles à usage unique en plastique de ses restaurants. 

Désormais, « l’enjeu est de passer au réutilisable et de changer les comportements », avance Céline Andreu. La chargée d’études restauration à la direction des ressources humaines du CNRS prend pour exemple le renouvellement du marché de restauration collective sur le campus toulousain du CNRS, qui impose depuis début 2025 la vaisselle non-jetable pour les événements et la consigne pour la vente à emporter.

Le CNRS a restitué une expertise scientifique collective sur le plastique

Le 23 mai 2025, le CNRS et INRAE ont restitué une expertise scientifique collective sur les plastiques utilisés dans l’agriculture et l’alimentation, commandée par l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et les ministères en charge de l’Agriculture et de l’Alimentation et de la Transition écologique. Passant en revue la littérature scientifique pour caractériser les propriétés de ces plastiques en fonction de leur composition et au cours de leur cycle de vie, cette expertise a mis en évidence leurs impacts environnementaux sur les écosystèmes continentaux terrestres et aquatiques ainsi que leurs impacts sanitaires. Elle a par ailleurs analysé la façon dont les compromis concernant les propriétés attendues de ces plastiques pouvaient être pris en compte dans une démarche d’écoconception et dans le respect des normes sanitaires.