Année de la Mer : la science en action avec le CNRS
Dans le cadre de l’Année de la Mer 2025, le CNRS propose une série d’articles pour comprendre les enjeux océaniques au centre de regards géopolitiques.
À quelques jours de l’ouverture de la Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3), un autre événement s’apprête à jeter l’ancre à Nice. Du 3 au 6 juin, le One Ocean Science Congress (OOSC) réunira plus de 2 200 participants venus de plus de 110 pays. Porté par le CNRS et Ifremer, l’OOSC entend incarner la voix de la science dans les discussions internationales.
Dans le cadre de l’Année de la Mer 2025, le CNRS propose une série d’articles pour comprendre les enjeux océaniques au centre de regards géopolitiques.
« C’est la première fois qu’un congrès scientifique sera adossé à une conférence des Nations unies sur l’océan », rappelle François Houllier, président-directeur général d’Ifremer et co-organisateur de l’événement aux côtés de Jean-Pierre Gattuso, océanographe et directeur de recherche au CNRS. Mais cette nouveauté n’est pas un hasard. Elle résulte d’un choix politique clair, porté dès le départ par la France et le Costa Rica : faire de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan un rendez-vous diplomatique nourrit par les connaissances scientifiques.
« Nous avons donc pensé l’OOSC dans cette perspective de science tournée vers l’action en connectant son programme aux instruments multilatéraux concernant l’océan », ajoute Jean-Pierre Gattuso. Tous les grands enjeux de l’UNOC seront donc au menu du congrès. Un pari technique, scientifique et diplomatique qui mènera à une série de recommandations à destination des décideurs, lors de la conférence de presse et de la soirée spéciale Art & Sciences du 5 juin.
Une stratégie scientifique pensée pour l’impact
Pour organiser ce congrès, le CNRS et l’Ifremer ont misé sur leur complémentarité : ils mobilisent un large éventail disciplinaire, y compris en sciences humaines et sociales et apportent leurs expertises des milieux marins et des systèmes d’observation. « L’union de nos deux institutions a permis une mobilisation sans précédent, aussi bien des scientifiques nationaux que des partenaires internationaux », renforce François Houllier.
Cela transparaît à travers le comité scientifique international indépendant, composé de chercheuses et chercheurs de tous les continents, qui a élaboré le programme de l’OOSC. Ce comité a reçu plus de 150 propositions, preuve de l’enthousiasme de la communauté mondiale. Au final, 33 tables rondes ont été retenues, selon des critères d’excellence, mais aussi de diversité disciplinaire, géographique et de genre.
Résultat : plus de 500 présentations orales et 620 posters couvriront pendant trois jours les dix thèmes et les grands défis liés à l’océan. À savoir : climat, biodiversité, pêche illégale, ressources génétiques, pollution, alimentation, transport maritime, savoirs autochtones, grands fonds… et la science elle-même. Huit d’entre eux s’adossent à des négociations ou à des traités internationaux : traité sur la haute mer (BBNJ), traité sur le plastique, convention sur la biodiversité, discussions sur la décarbonation du transport à l’Organisation maritime internationale (OMI)...
Des sujets globaux, des voix nouvelles
Des experts du monde entier sont attendus. David Obura, président de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité (IPBES), viendra notamment présenter les travaux de l’IPBES sur les solutions intégrées pour un développement durable. « Plus de la moitié des solutions identifiées dans le dernier rapport de l’IPBES, Nexus, sont directement applicables aux enjeux océaniques », souligne-t-il. L’objectif : renforcer les liens entre communauté océanique et gouvernance mondiale de la biodiversité.
La structuration inclusive de l’OOSC ouvre également la voie à des prises de parole rarement entendues dans les grandes enceintes internationales. L’océan Indien, souvent marginalisé, sera mis à l’honneur dans la conférence principale de Sheena Talma, biologiste marine seychelloise. « Je profiterai de cette plateforme pour parler des enjeux autour des environnements profonds de l’océan Indien, avec un accent sur l’équité et l’évolution de la recherche dans cette région », confie-t-elle. En prenant les Seychelles comme cas d’étude, elle mettra en lumière l’émergence de nouveaux leaderships scientifiques dans l’exploration des grands fonds.
Investir dans la science
Le dernier thème de l’événement portera sur la place de la science dans la gouvernance de l’océan. Dans un contexte où les océans subissent une pression croissante et où les discours climatosceptiques ou anti-science gagnent du terrain, ce thème incarnera à lui seul le fil rouge de l’événement : sans données, sans observation, sans recherche, aucune politique maritime ne tient.
Les discussions porteront également sur l’avenir des sciences océaniques et les outils qui lui seront indispensables : jumeaux numériques, intelligence artificielle, flotteurs Argo1 , satellites… mais aussi sur la gouvernance des données ou encore la coopération internationale. « Aujourd’hui, moins de 2 % des budgets mondiaux de recherche sont consacrés à l’océan, alors qu’il régule le climat, nourrit des milliards de personnes et abrite une biodiversité essentielle », rappelle Jean-Pierre Gattuso. L’appel est clair : investir massivement dans la science océanique, pour qu’elle devienne un moteur — pas un luxe — de la transition bleue.
Derrière la richesse scientifique de l’OOSC, demeure enfin une exigence : l’inclusivité. Près de 70 chercheurs et chercheuses issus de pays en développement ont été invités, avec un soutien financier dédié. Les jeunes scientifiques (ECOPs, Early Career Ocean Professionals) seront également au cœur du dispositif et représenteront 40 % des participants.
Des recommandations prêtes à peser
L’OOSC se veut pragmatique : le bilan de la situation et de l’état de santé de l’océan sera établi, mais surtout, des solutions seront proposées. Une synthèse des recommandations, traduite en six langues, sera remise aux délégations de l’UNOC. L’objectif : fournir des messages clairs et exploitables pour les décideurs, véritable passage de relais entre science et décision.
Un policy brief, publié conjointement par l’Institut Europe Jacques Delors2 et l’Institut du développement durable et des relations internationales3 (IDDRI), viendra également renforcer ces messages. Il portera notamment sur les besoins d’observation, le financement de la recherche et les conditions d’une gouvernance océanique durable. Un accent particulier sera mis sur le constat et la proposition de solutions adaptées.
Toutefois, la science, seule, ne suffira pas au changement. « Les défis de l’océan ne peuvent être dissociés des enjeux globaux. Il n’y aura pas d’océan durable sans une transformation profonde de nos systèmes économiques et sociaux », rappelle David Obura. Pour lui, les solutions ne sont pas à chercher uniquement du côté de la nature ou de la conservation, mais aussi dans nos choix collectifs de valeurs, d’usages et de gouvernance.
À Nice, ce premier OOSC devrait marquer une étape inédite : établir un lien durable entre science et décision dans les négociations maritimes internationales. Et comme le résume Sheena Talma, « dans notre climat politique actuel, il est essentiel de se souvenir de la force du multilatéralisme, et de nous rassembler pour le bien de notre planète ».