Année de la Mer : la science en action avec le CNRS
Dans le cadre de l’Année de la Mer 2025, le CNRS propose une série d’articles pour comprendre les enjeux océaniques au centre de regards géopolitiques.
Avec l’UNOC-3, l’océan s’est hissé au cœur des discussions internationales. La science a gagné en visibilité et l’action politique sera à concrétiser. Retour sur le bilan, côté scientifique.
Dans le cadre de l’Année de la Mer 2025, le CNRS propose une série d’articles pour comprendre les enjeux océaniques au centre de regards géopolitiques.
Du 9 au 13 juin 2025, Nice a accueilli la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC-3). Une rencontre attendue et largement commentée. « L’UNOC n’est pas une conférence des parties (COP), rappelle Jean-Pierre Gattuso, océanographe au CNRS. Son objectif n’est pas de négocier un traité, mais d’évaluer les progrès sur l’Objectif de développement durable n°14 (ODD14), dédié à l’océan et à ses ressources ». Alors, l’UNOC-3 a-t-elle été à la hauteur des attentes scientifiques ?
L’UNOC a mis en avant la nécessité de rapprocher science et politique pour améliorer la gouvernance de l’océan. Le principe de « décision fondée sur la science » s’est affiché dans les discours comme dans l’organisation même de l’événement, placé juste après le One Ocean Science Congress (OOSC), co-organisé par le CNRS et l’Ifremer. « Ce congrès a été un succès, reconnu par les États et salué par l’ONU. Il pourrait servir de modèle au Chili et à la Corée du Sud pour la prochaine édition en 2028 », précise Jean-Pierre Gattuso.
Du 3 au 6 juin 2025, plus de 2000 scientifiques du monde entier se réunissent à Nice pour le One Ocean Science Congress (OOSC). À quelques jours du sommet des Nations Unies pour l’Océan (UNOC-3), la communauté scientifique tirait la sonnette d’alarme : l’océan est en crise, et le temps presse.
Traité BBNJ : un cadre prometteur à bien naviguer
Certaines recommandations de l’OOSC ont nourri les « engagements de Nice pour l’océan » publiés par le gouvernement français. En tête, la ratification imminente du traité sur la haute mer (BBNJ), qui vise à encadrer la création d’aires marines protégées en haute mer, les évaluations d’impact, le partage des bénéfices issus des ressources génétiques marines et le transfert de technologies. Seuls les États l’ayant ratifié participeront aux futures COP et donc aux décisions opérationnelles. « Le fait que la première COP BBNJ puisse avoir lieu en 2026 est un réel succès dû en grande partie à la mobilisation dans le cadre d’UNOC », souligne Joachim Claudet, conseiller Océan du CNRS.
Une bonne nouvelle pour la planète qui pourrait être confrontée, à terme, à certaines limites posées par le paysage onusien préexistant. En effet, BBNJ ne remet pas en cause les instances qui encadrent la pêche (gérée par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) ou encore l’exploitation minière (dépendant de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM)) qui ont toutes deux un impact sur la biodiversité en haute mer. Joachim Claudet indique : « Juridiquement, BBNJ ne contraindra pas ces activités. Mais on peut espérer que les États feront preuve de bon sens et n’iront pas défendre la biodiversité dans une enceinte de l’ONU et dans le même temps soutenir l’exploitation minière dans une autre ».
Aires marines protégées : entre discours et protection réelle
Sur les aires marines protégées (AMP), des annonces spectaculaires ont été peut-être plus symboliques que substantielles. La création d’une aire marine géante en Polynésie française en témoigne : « la création d’une zone de protection stricte de plus de 900 000 km² est remarquable, cependant, c’est bien l’intégralité de la zone économique exclusive de Polynésie française (environ 5 millions de km²) qui va être comptabilisé en AMP », tempère Joachim Claudet avant de continuer : « 78 % de la zone économique exclusive (ZEE) française sont désormais classés en AMP. Or, l’enjeu pour la France n’est pas d’en créer plus (ndlr : l’objectif est d’atteindre 30 % d’ici 2030), mais de mieux protéger celles que nous avons déjà. Et pour le moment, des activités de pêche destructrices persistent dans des AMP, alors que la Commission européenne appelle à une protection stricte d’un tiers d’entre elles ».
Comment le CNRS diffuse le savoir scientifique auprès du grand public ? Comment sensibiliser aux grands enjeux liés à l’océan, mais aussi comment dialoguer avec les pouvoirs publics et acteurs économiques pour gérer au mieux les ressources marines et les territoires proches des littoraux.
IPOS, lancement officiel à l’UNOC-3
L’UNOC a par ailleurs officialisé plusieurs outils collaboratifs dans lesquels la recherche est impliquée. Le plus symbolique est l’International Platform for Ocean Sustainability (IPOS), une initiative soutenue par le CNRS depuis le départ, désormais mentionnée dans les recommandations officielles des Nations unies. « C’est une réussite totale », se félicite Françoise Gaill, vice-présidente d’IPOS qui porte le projet depuis deux ans.
Conçu comme un service international, IPOS s’appuie sur 60 institutions scientifiques et organisations internationales. Son ambition ? Produire rapidement et sur demande des synthèses et des outils d’aide à la décision à destination des États ou d’acteurs non-étatiques. Un premier rapport sur l’exploitation des grands fonds a déjà été présenté pendant l’événement SOS Océan en avril dernier. Une version bêta d’un outil d’intelligence artificielle - « Ocean-GPT » - conçu pour agréger des données issues de la recherche académique, mais aussi des savoirs autochtones et des contributions citoyennes, est en cours de développement.
« L’officialisation d’IPOS a déjà attiré plusieurs États qui ont des préoccupations autour des aires marines protégées ou encore sur l’économie marine dans les pays du Sud, précise la chercheuse. Il nous reste toutefois des fonds à lever pour assurer la pérennité d’IPOS avant de répondre aux demandes ».
Observer l’océan : encore un effort
L’observation de l’océan, c’est-à-dire la collecte, la qualification et la mise à disposition des données marines et océaniques, a occupé une place importante dans les discussions et les engagements, tant au niveau national qu’européen (avec le pacte pour l’océan de l’Union Européenne) qui ont été annoncés. C’est un formidable succès pour l’OOSC et pour l’UNOC-3, car seul un océan bien connu peut-être véritablement protégé. Il s’agit là d’une position affirmée et portée de longue date par le CNRS.
Cet effort d’observation concerne principalement les observations en mer, mais l’UNOC-3 a permis aussi de relancer la recherche spatiale. En effet, l’alliance Space4Ocean a pris de l’ampleur pendant l’UNOC-3. Son objectif : mieux coordonner l’observation spatiale des océans. « C’est très important, mais l’observation spatiale seule ne suffit pas. Il faut instaurer un vrai dialogue avec les observations in situ et la modélisation. Le CNRS, actif dans ces deux domaines et signataire de l’alliance, a un rôle central à jouer », souligne Joachim Claudet.
Autre initiative mise en avant à Nice : la transformation de Mercator Océan International en organisation intergouvernementale, afin de garantir que le Jumeau Numérique de l’Océan — dont la réalisation a été confiée au consortium Mercator, auquel le CNRS participe — devienne un outil critique et efficace pour la protection de l’espace océanique.
Enfin, le lancement de la Mission Neptune. Portée par le CNRS, l’Ifremer et soutenue par la Commission européenne, l’opération a été accueillie avec curiosité. Jean-Pierre Gattuso indique : « Ce que l'on demande, c’est que tout ce qui sera fait le soit en plus, et non en lieu des efforts et des financements existants ».
Science en péril, au Nord comme au Sud
Ironie du moment : alors que la science s’affiche dans les allées diplomatiques, elle est fragilisée par ailleurs. Le cas américain en est le principal emblème. Plusieurs agences clés pour l’observation de l’océan — NASA, NOAA, Agence de protection de l’environnement (EPA) — subissent des coupes budgétaires massives qui font de la recherche océanique internationale un dommage collatéral.
Une étude parue fin mai, cosignée par Jean-Pierre Gattuso, montre ainsi que 51 % des flotteurs ARGO d’observation in situ de l’océan sont financés par les États-Unis. Par ailleurs, seuls 24 pays sur 154 ayant une façade maritime contribuent au programme. « C’est un test de résistance au stress pour l’observation mondiale, alerte le chercheur. Sans relais européen et asiatique, c’est tout le système d’alerte, de modélisation et d’action qui vacille, or pour le moment les engagements des États pour maintenir ce réseau en vie restent timides ».
Pendant cinq jours, l’UNOC-3 a finalement offert à la science une visibilité inédite. Mais il ressort aussi que celle-ci doit désormais trouver de nouveaux relais. Le temps où les États suffisaient à soutenir la recherche est révolu. Face aux défis océaniques, toute la société civile doit s’impliquer, quitte à initier de nouveaux partenariats associant secteur privé, fondations, ONG et grands mécènes. Reste à la diplomatie de traduire cette dynamique en décisions concrètes — sans attendre l’UNOC-4 pour agir.
Pas de durabilité sans équité. Le principe, martelé par Joachim Claudet lors d’un side event organisé par le CNRS, peine encore à s’imposer dans les négociations internationales. « L’économie bleue reste profondément inégalitaire », souligne-t-il. En témoigne la question des brevets sur les ressources génétiques marines : 48 % d’entre eux sont détenus par une seule entreprise, le géant de la chimie BASF.
Face à cette concentration, plusieurs initiatives appellent à une gouvernance plus inclusive. L’idée : impliquer ONG, communautés locales et société civile dans les processus décisionnels. Une dynamique encore émergente, mais cruciale pour que la durabilité ne soit pas qu’un mot d’ordre, mais le fruit d’une démarche collective et inclusive.