Stabiliser les protéines membranaires in silico : un enjeu pour accélérer la découverte de nouveaux médicaments
À l’automne dernier, Magdalena Szczuka s’est lancée dans une thèse CIFRE, fruit d’un partenariat entre Eurofins Calixar et le Centre de Biologie Intégrative de Toulouse. Son ambition ? Mettre en place un programme informatique capable de prédire et modéliser l’action de détergents sur l’extraction et la stabilisation des protéines membranaires recombinantes. Un enjeu majeur pour l’industrie pharmaceutique.
Elles sont incontournables dans le développement de nouveaux médicaments, mais très délicates à manipuler. Les protéines membranaires, essentielles à la communication cellulaire, sont des cibles de choix pour l’industrie pharmaceutique. Mais leur extraction des membranes lipidiques - où elles se logent naturellement - vire souvent au casse-tête.
Pour isoler et stabiliser ces protéines - GPCR, canaux ioniques et autres récepteurs - rapidement, sans altérer leur conformation tout en préservant leur activité, la société Eurofins Calixar, spécialisée depuis une quinzaine d’années dans le développement et la production de ces protéines membranaires recombinantes natives, le CNRS, l’Université de Toulouse et l’Université Paris Cité ont acté le lancement d’une thèse CIFRE à l’automne dernier.
« Le but de ma thèse est de créer un workflow, un programme qui va permettre de prédire le milieu stabilisant lors de la production des protéines membranaires », résume Magdalena Szczuka, doctorante en bioinformatique. Un travail de simulation de dynamique moléculaire des protéines membranaires qui sera, à terme, facilité par l’intelligence artificielle.
Son ambition d’ici trois ans ? Mettre en place un programme informatique capable de modéliser l’action des détergents et d’estimer, les conditions les plus favorables à l’extraction et à la stabilisation des protéines membranaires recombinantes. En somme, identifier le - ou les - mélange(s) de détergents les plus susceptibles de fonctionner.

Identifier le bon mélange
Pour bâtir ce modèle, l’idée est aussi de mieux comprendre les interactions protéines-lipides dans la membrane car « il est très difficile de stabiliser une protéine membranaire », souligne Magdalena Szczuka. « Il faut d’abord la sortir de sa membrane lipidique et cette extraction peut complètement changer sa structure 3D, et donc sa fonction », résume la doctorante.
« Les protéines ne sont pas des objets 3D figés, elles sont dynamiques et peuvent évoluer entre des formes actives ou inactives qui sont plus ou moins intéressantes à étudier pour l’industrie pharmaceutique », abonde également Matthieu Chavent, responsable de l’équipe « Modélisation multi-échelle des membranes biologiques et de leurs interactions » au Laboratoire de Microbiologie et Génétique Moléculaires, qui travaille en étroite collaboration avec Magdalena Szczuka
Parce qu’il est difficile de prédire quel détergent sera optimal pour extraire une protéine de la membrane, sans l’abimer, la société Eurofins Calixar mène depuis 15 ans des tests expérimentaux sur des centaines de cibles membranaires. Des essais empiriques longs et couteux qu’espère, à terme, optimiser Magdalena Szczuka. « On veut reproduire l’expertise humaine, celle des scientifiques d’Eurofins Calixar, dans un programme informatique capable de prédire quels détergents fonctionnent avec quelle protéine et dans quel contexte », résume Rodolphe Simonot, président d’Eurofins Calixar
Ce partenariat avec Eurofins Calixar devrait ainsi apporter un avantage décisif : l’accès à des données de laboratoire. « Nous travaillons avec les résultats expérimentaux d’Eurofins Calixar, sur des protéines qu’ils ont déjà stabilisées. Cela nous permet de valider notre modèle », précise Magdalena Szczuka. Pour l’heure, si l’intégralité de ses recherches se fait derrière un écran, la doctorante ira ensuite dans les laboratoires de la société pour valider expérimentalement ses prédictions « et tester les mélanges de détergents que le programme aura sélectionnés, pour voir si cela fonctionne vraiment », résume-t-elle.
Se rapprocher du fonctionnement physiologique
L’entreprise met à disposition les données issues de plus de 300 projets menés sur les quinze dernières années : un trésor de succès - et d’échecs ! - qui alimente le programme informatique. « Cette base de données internes est précieuse, car chaque tentative ratée est aussi instructive qu’un succès », insiste Rodolphe Simonot.
Le modèle numérique, basé sur les simulations de dynamique moléculaire, en cours de développement va permettre de « mieux comprendre leurs interactions avec leur environnement physiologique, en particulier les lipides qui les entourent », précise Matthieu Chavent. Avec pour mission de se rapprocher le plus possible de l’humain.
Ce partenariat de recherche entre l’équipe de Matthieu Chavent et la société Eurofins Calixar a été accompagné par Jérôme Castandet, l'ingénieur transfert du CBI et de l'IPBSà Toulouse.
Fondée en 2011, Calixar est issue du laboratoire Microbiologie Moléculaire et Biochimie Structurale (MMSB - Université Claude Bernard Lyon 1, CNRS) et repris depuis avril 2023 par le groupe Eurofins scientific, lui-même issu d’un laboratoire sous tutelle CNRS.

Tester de futurs médicaments
La seconde étape du projet de thèse sera d’enrichir le programme informatique d’intelligence artificielle, pour mieux traiter et comprendre ces données complexes. Avec l’espoir, d’estimer automatiquement, pour chaque protéine, le détergent et l’environnement les plus susceptibles de favoriser son extraction et sa stabilité.
Un gain de temps extraordinaire pour Eurofins Calixar et ses clients de l’industrie pharmaceutique. Car, derrière ce projet, l’enjeu est de taille, les protéines membranaires étant des cibles de choix pour l’industrie pharmaceutique afin de tester des candidats médicaments, vaccins ou anticorps monoclonaux.
« Deux tiers des projets que nous menons concernent de petites molécules, de futurs traitements destinés à interagir avec ces protéines », précise Rodolphe Simonot, qui ajoute qu’Eurofins Calixar travaille actuellement avec une soixantaine de combinaisons de détergents stabilisant, mais qu’à l’aune des travaux de Magdalena Szczuka « nous pourrions imaginer en faire des milliers ! ».
Actuellement, Eurofins Calixar offre à ses clients – à 90% des laboratoires étrangers – un catalogue de 600 à 800 références de protéines, « mais la plupart du temps nous travaillons à la commande pour créer des protéines spécifiques à la demande des laboratoires », souligne Rodolphe Simonot. Originaire de Pologne, Magdalena Szczuka a étudié la biologie moléculaire puis la bio-informatique à l’Université Paul Sabatier de Toulouse. Aujourd’hui, elle incarne aussi une pluridisciplinarité entre informatique, biologie et recherche appliquée.
« Ce qui est original dans ce projet, c’est la combinaison de nos approches et l’accès à des données industrielles réelles, conclut Matthieu Chavent. Pris séparément, beaucoup de laboratoires font de la modélisation, d’autres travaillent sur la stabilisation des protéines, certains développent de nouveaux modèles d’IA. Mais ici, nous rassemblerons tout cela pour mettre en place une approche originale tournée vers une application directe ».