VéloClimat : la science en selle
Une expédition de science participative a relié à vélo le Morbihan à Rotterdam mi-juillet. Objectif : mesurer l’impact du réchauffement climatique sur la pratique cycliste et anticiper les aménagements nécessaires à son adaptation aux fortes chaleurs.
800 km séparent Rotterdam de Saint-Jean-la-Poterie, dans le Morbihan. 800 km qu’ont parcourus en dix jours Erwan Bocher, Matthieu Gousseff et leurs collègues1 du Laboratoire des sciences et techniques de l'information, de la communication et la connaissance (Lab-STICC)2 . Sous la pluie, le vent… et la canicule estivale. L’enjeu ? Pour ces « vélotaffeurs » convaincus, rallier de la manière la plus décarbonée possible la seconde ville des Pays-Bas où se tenait mi-juillet la douzième conférence internationale sur le climat urbain (ICUC)… et expérimenter et mesurer en chemin l’impact du réchauffement climatique sur la pratique du vélo.
Aussi bon pour le climat et la santé soit-il, présenté par le GIEC comme une solution d’adaptation et d’atténuation du réchauffement climatique, le vélo souffre en effet particulièrement des conditions météorologiques, en particulier l’été lors des épisodes de forte chaleur. Or, la maladaptation des infrastructures cyclables – des pistes asphaltées en plein soleil par exemple – a un impact direct sur la pratique de la petite reine : « Quand les conditions climatiques sont mauvaises, les cyclistes risquent d’abandonner le vélo pour des modes de transport carbonés, au premier chef l’automobile », soupire Matthieu Gousseff, ingénieur d’études au CNRS. Dès lors, pour son collègue directeur de recherche au CNRS Erwan Bocher, le projet VéloClimat vise à ancrer la science dans les territoires : « Il s’agit d’adapter un outil de transport décarboné aux évolutions rapides du climat et d’anticiper dès maintenant les aménagements des pistes cyclables ».
Thermo parties et dôme de chaleur
Aussi, les agents du Lab-STICC se sont élancés le 27 juin de Saint-Jean-la-Poterie – où se trouve le siège de GEOMANUM, une fondation sous égide du CNRS qui porte VéloClimat. Leurs outils : des « véloclimamètres » destinés à mesurer aussi bien la température de l’air, du sol et de leurs corps, la pollution par les microparticules et la proximité de véhicules de chaque côté des vélos, mais aussi des capteurs physiologiques pour mesurer la température de leurs corps.
« On a malheureusement eu la chance de commencer notre périple sous un dôme de chaleur début juillet », ironise Erwan Bocher. Dans la préfecture de l’Orne, le groupe subit de plein fouet le dôme thermique qui frappe, deux semaines durant, l’ouest de l’Europe. Une opportunité scientifique. « Bien qu’Alençon soit assez végétalisée, on a pu y mesurer une différence de six degrés à 23h entre la campagne alentour et le centre-ville, sachant que le phénomène d’îlot de chaleur urbain atteint son maximum plus tard dans la nuit », détaille le directeur de recherche. À ce constat général s’ajoutent des observations locales, quartier par quartier. « Selon la morphologie des bâtiments et la végétalisation du quartier, la température mesurée évoluait sensiblement, précise Erwan Bocher. À certains endroits, sur une piste cyclable toute neuve, la température au sol est montée jusqu’à 70 degrés ! Le goudron y fondait, des bulles éclataient à même le sol… ». Des chaleurs qui se répercutèrent sur leurs propres corps. Matthieu Gousseff en sait quelque chose, lui dont la température corporelle a grimpé jusqu’à 39.3 °C, soit un état de fièvre en temps normal.
En plus de leurs propres relevés, les membres du projet VéloClimat ont ponctué leur périple de « thermo parties » dans les villes françaises qu’ils traversaient : Saint-Jean-la-Poterie la veille du départ, Redon en Ille-et-Vilaine, Alençon dans l’Orne, Lille dans le Nord et enfin Gand, en Belgique. Ces expériences de science participative, dans la lignée de l’application NoiseCapture développée par leur laboratoire et l’Unité mixte de recherche en acoustique environnementale1 en 2017, avaient non seulement pour but de massifier la collecte de données en invitant des cyclistes à parcourir les rues de leur ville avec des capteurs embarqués, mais aussi de développer une fine connaissance des zones climatiques locales. Les associations mobilisées dans ces thermo parties se sont montrées particulièrement friandes de ce format et des discussions qui ont suivi avec l’ensemble des participants. « Aujourd’hui, on reçoit des invitations à venir animer des thermo parties ailleurs en France, sourit Erwan Bocher. Cela nous conforte dans l’idée qu’une certaine population attend que la science mette à disposition des outils méthodologiques pour rendre compte des effets des îlots de chaleur urbain et discuter ensuite avec les décideurs politiques des manières d’aménager au mieux le territoire ». Fort de ce succès, Matthieu Gousseff espère développer un format de thermo party généralisable, voire un kit à disposition des associations, car « il est certain que les thermo parties ont rempli leur double objectif : collecter de la donnée et faire le lien entre la recherche et les citoyens ».
La science mouille le maillot
Transmises aux collectivités, ces données scientifiques pourraient nourrir les politiques publiques locales et ainsi aider à l’aménagement du territoire au profit du vélo. L’ingénieur d’études en veut pour preuve le plaisir qu’il a ressenti à pédaler en toute sécurité et sans inconfort sur les pistes belges et néerlandaises, fruits d’années d’aménagements. Dans le Benelux, la fraîcheur des voies vertes et des pistes cyclables à l’ombre des arbres diminuait d’autant le stress thermique des cyclistes et facilitait ainsi la pratique du vélo même par forte chaleur.
- 1Cerema / Université Gustave-Eiffel.
À présent que les deux scientifiques ont regagné la Bretagne, l’heure est au bilan et à la pérennisation de VéloClimat. D’ores et déjà, Erwan Bocher et ses collègues ont déposé un projet de recherche auprès de l’Agence nationale de la recherche sur le même sujet. En plus des éventuelles thermo parties à reconduire en d’autres lieux, les scientifiques aimeraient dorénavant systématiser cette excursion cycliste vers la conférence ICUC. Car au-delà de l’importance scientifique de cette dernière, le projet revêtait pour eux une dimension d’engagement personnel, en phase avec les connaissances scientifiques sur le réchauffement climatique et la nécessité de valoriser les mobilités douces. « Il y a un moment où il faut aller au-delà de la sensibilisation et de la connaissance fondamentale et mouiller soi-même le maillot », martèle Matthieu Gousseff. « Il ne faut pas se servir de la marge de progression de la science comme une excuse pour ne pas se mettre en action ».
Le CNRS promeut l’usage du vélo
Depuis son premier bilan carbone, le CNRS promeut activement le vélo et les mobilités douces. Si, en 2019, les véhicules motorisés représentaient 34 % des déplacements domicile-travail et 87 % des émissions carbone de ce poste, ils ont vu en trois ans leur utilisation diminuer de 10 % au profit des mobilités actives (marche, trottinette musculaire et vélo), qui, elles, ont gagné 20 % d’utilisation et sont désormais le premier mode de déplacement quotidien (37 %) des 33 000 agents du CNRS.
Une montée en puissance qu’a mise en lumière la première place du CNRS au classement national des employeurs lors du challenge « Mai à vélo »1 en 2024. Pour sa première participation comme établissement national, la mobilisation des agents du CNRS et des unités mixtes de recherche a été remarquée : près de 1 600 participants, 150 000 km parcourus, correspondant à environ 32 tonnes de CO2 économisées pour une distance équivalente en véhicule thermique individuel. En 2025le nombre de participants CNRS a a grimpé à 3 000 s et le nombre de kilomètres parcourus a dépassé les 200 000 km parcourus, ce qui aurait représenté 43 tonnes équivalent CO2 si le même trajet avait été réalisé en voiture.
Dans le cadre de son schéma directeur développement durable et responsabilité sociétale, publié début 2025, le CNRS ambitionne d’équiper de places de stationnement dédiées l’ensemble de ses sites d’ici 2027. Depuis 2023, cette politique s’est appuyée sur les programmes nationaux « Employeur Pro-Vélo »2 et « Alvéole Plus »3 . Une trentaine de sites CNRS sont inscrits au programme « Employeur Pro-Vélo », dont la grande majorité des délégations régionales, et cinq sont déjà labellisés « or »4 et deux « argent »5 , ce qui signifie qu’ils répondent aux besoins des cyclistes (stationner, se changer, réparer son vélo) et valorisent la pratique du vélo dans leurs communications. En parallèle, le CNRS souhaite porter le taux de ses vélotaffeurs et vélotaffeuses bénéficiaires du forfait mobilités durables6 , actuellement de 10 %, à 20 % dans trois ans.
Une pratique du vélo que l’organisme espère d’autant plus massive qu’elle recèle un certain nombre de co-bénéfices pour le CNRS et ses agents : outre la baisse des émissions de CO2 et de polluants, le vélo offre des bénéfices pour la santé ou encore la possibilité de réallouer des espaces pour la biodiversité ou la qualité de vie au travail. On estime ainsi que chaque kilomètre parcouru à vélo permettrait d’éviter environ un euro de coût de santé en France7 .
- 1 pédaler pour réaliser le plus de kilomètres au quotidien et faire gagner son équipe.
- 2Le Programme Objectif Employeur Pro-Vélo vise à accompagner les employeurs dans le développement d’une culture vélo. Des mesures incitatives permettent aux employeurs de déployer des équipements et services « Pro-Vélo » pour les déplacements de leurs collaborateurs, clients et fournisseurs.
- 3Porté par la Fédération française des usagers de la bicyclette, Alvéole Plus vise à déployer 100 000 places de stationnement sécurisées et abritées pour les vélos. Le programme propose des financements ainsi que des actions de conseil et de formation pour accompagner leur déploiement.
- 4Les campus CNRS à Orléans et Grenoble-Polygone, les laboratoires IBCP à Lyon et IMPC à Nice et le site de la délégation régionale de Lyon.
- 5Les campus CNRS Joseph Aiguier à Marseille et Gérard Mégie, siège du CNRS, à Paris.
- 6Entré en vigueur en mai 2020, le forfait mobilités durables est un dispositif législatif français de soutien aux travailleurs pour leurs déplacements domicile-travail, qui a pour objectif d'encourager le recours aux transports à faible émission de dioxyde carbone. Au CNRS, tout agent recourant au minimum 30 jours par an à l’un de ces modes de transport peut y prétendre.
- 7https://theconversation.com/le-velo-un-potentiel-inexploite-pour-ameliorer-la-sante-et-le-climat-225010