Le CNRS défenseur de la parité en science à l’échelle mondiale
Le 27 octobre 2025, les onze institutions lauréates du prix européen de l’égalité, dont le CNRS, ont signé une déclaration de principe soutenant la parité femmes-hommes en recherche. Une initiative à l’origine du premier organisme de recherche français, qui intègre désormais la parité dans toutes ses collaborations internationales.
« Attirer davantage de femmes vers les carrières universitaires et garantir les normes les plus élevées en matière de qualité de la recherche sont essentiels pour renforcer le rôle de la science dans la résolution des défis sociétaux et économiques. Pour y parvenir, il est vital que nous continuions à intégrer l'égalité des genres dans la coopération européenne et internationale ». Ces mots proviennent d’une déclaration conjointe, signée par l’ensemble des onze institutions lauréates du prix européen de l’égalité (voir liste au bas de l’article), à l’initiative du CNRS. En mars 2025, à l’occasion d’un webinaire international pour la Journée des droits des femmes organisée par la direction Europe et international et la Mission pour la place des femmes (MPDF) du CNRS, Antoine Petit, président-directeur général de l’organisme de recherche français, récipiendaire en 2024 du prix européen de l’égalité entre les femmes et les hommes, enjoignait les représentants d’autres institutions du Vieux Continent à rejoindre « une ligue européenne des champions de l’égalité entre les femmes et les hommes ». Au vu de la situation préoccupante pour les actions en faveur de la parité aux États-Unis depuis le début d’année, le PDG estimait « important de montrer à l’international que l’Europe œuvre en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ». L’appel de mars a trouvé son public : depuis lors, les dix autres champions européens ont souscrit à la proposition du CNRS de rédiger une déclaration commune affirmant l’importance de l’égalité des femmes et des hommes.
En France, le CNRS est depuis la création de la MPDF il y a bientôt 25 ans reconnu pour ses actions en faveur de la parité. Le précédent plan d’action (2021 – 2023) pour l’égalité femmes-hommes a permis d’atteindre un taux de féminisation de 40 % des effectifs scientifiques, variable selon les disciplines, et de diminuer le plafond de verre : 32 % des directeurs de recherche sont désormais des directrices et les femmes sont à la tête d’un quart des unités sous cotutelle CNRS. L’engagement du CNRS en faveur de la parité ne se borne pas toutefois au seul espace européen de la recherche. Partout sur la planète, le CNRS instille dans ses coopérations internationales des actions en faveur de la parité, voire inspire d’autres institutions scientifiques à promouvoir la place des femmes en science. Tour d’horizon.
Chine : sensibiliser pour mieux agir
Première action en faveur de la parité : sensibiliser au sujet. C’est le défi qu’a relevé le bureau du CNRS à Pékin, en lien avec l’ambassade de France en Chine et ses partenaires chinois. Pour célébrer les soixante ans de relations diplomatiques entre la Chine et la France, l’ambassade française a décliné, avec des scientifiques chinoises, l’exposition photographique itinérante « La Science taille XX elles ». Depuis son invention à Toulouse en 2018, fruit d’un partenariat entre le CNRS et l’association Femmes & Science, l’exposition a mis en lumière 158 chercheuses, ingénieures et techniciennes photographiées en huit éditions. La déclinaison chinoise, la première hors de l’Hexagone, affichait vingt nouveaux portraits. De novembre 2024 à septembre 2025, elle a battu tous les records de fréquentation : organisée dans plusieurs villes du pays (Pékin, Canton, Shanghai, Chengdu et Shenzhen), elle a attiré plus de 90 000 visiteurs et généré plus de 200 millions de vues dans les journaux en ligne.
Ces chiffres témoignent d’un intérêt notable du public chinois pour cette question. Un intérêt que le CNRS compte développer dans ses coopérations en Chine, en plein essor depuis la sortie du Covid-19. Comme s’en explique Fermin Cuevas, directeur du bureau du CNRS à Pékin : « Le gouvernement chinois a lancé une politique ambitieuse pour réduire les inégalités de genre dans la recherche. Jusqu’à présent, les chercheuses ne recevaient que 10 % des financements et ne représentaient que 6 % des membres de l’Académie chinoise des sciences (CAS) », principal organisme de recherche du pays. Création de comités pour l’égalité des sexes, mise en place d’un quota pilote pour les femmes dans les élections d’académiciennes, priorité donnée aux femmes dans les financements scientifiques à compétences égales ou encore accompagnement des femmes enceintes ou allaitantes : les mesures au niveau national sont remarquables, mais le directeur du bureau relève que « des lacunes subsistent dans leur mise en œuvre locale » et qu’il faut dès lors « renforcer le contrôle de l'application des politiques ». Dans ces conditions, le CNRS, premier partenaire français et troisième européen des institutions scientifiques chinoises, pourrait faire office d’accélérateur en matière de parité femmes-hommes en commençant par structurer celle-ci dans ses dispositifs de coopération. « Lors de sa dernière visite en Chine en juin 2024, Antoine Petit a émis lors du dialogue stratégique avec la CAS le souhait de porter plus avant la question de l’égalité femmes-hommes », observe Fermin Cuevas.
Japon : inspirer les partenaires locaux
Pour ce faire, les partenaires chinois du CNRS pourraient regarder de l’autre côté de la mer de Chine. Au Japon, depuis la création en 2022 d’un centre de recherche internationale (IRC)1 avec le CNRS, l’Université de Tokyo (UTokyo), première université du pays, a officiellement intégré la parité comme un axe structurant de ce dispositif de coopération. L’IRC avec le CNRS s’inscrit dans une initiative locale lancée cette même année : le programme « UTokyo Gender Equity Initiative #WeChange », fruit de l’orientation politique appelée « UTokyo Compass » impulsée par le président de l’université depuis sa prise de fonctions en 2021. Ce programme en faveur de la diversité naît du constat que « notre université se trouve dans une situation de sous-représentation des femmes assez exceptionnelle au niveau mondial », reconnaît Kaori Hayashi, vice-présidente exécutive de l’UTokyo en charge des questions d’égalité femmes-hommes. En effet, en 2022, la proportion de femmes parmi les membres du corps enseignant y était de 16,7 % et seulement 20,1 % environ des étudiants de premier cycle de l’université de Tokyo étaient des femmes. À l’inverse, les hommes représentent 90 % des professeurs titulaires, 85 % des professeurs associés et 80 % des étudiants de premier cycle de l’université. Pour remédier à pareil déséquilibre, l’université crée un Centre pour la coproduction de l’inclusion, de la diversité et de l’équité afin de promouvoir l'inclusivité sur ses campus. Dès 2024, on en observe les premiers résultats : la proportion de femmes parmi les membres du corps enseignant est montée à 18,3 % et celle des étudiantes de premier cycle à 21,3 %.
- 1Un centre de recherche internationale est un dispositif institutionnel qui vise à instaurer un dialogue stratégique ambitieux entre le CNRS et son partenaire académique pour définir leurs intérêts communs et les collaborations leur permettant d’y répondre ensemble, sous la forme de laboratoires de recherche internationaux, de projets de recherche, de réseaux thématiques ou d’autres dispositifs existants ou à développer.
Pour aller au-delà, la vice-présidente exécutive de l’UTokyo sollicite les conseils de son partenaire français : « Le CNRS a mis en place plusieurs mesures pour remédier au déséquilibre des genres. En partageant des informations sur ce sujet, nous espérons voir émerger de nouvelles idées auxquelles nous n’aurions pas pensé spontanément ». Dans ce cadre, un premier webinaire a été organisé par la Mission pour la place des femmes du CNRS et ses homologues à l’université de Tokyo en octobre 2024 ; celui-ci a notamment mis en valeur les obstacles rencontrés au cours de leur carrière par les chercheuses françaises et japonaises Alors que l’archipel nippon mise sur un rapprochement avec l’Europe, espérant rejoindre le programme-cadre Horizon Europe en qualité de pays associé, aux côtés du Canada, de la Nouvelle-Zélande et de la Corée du Sud, Kaori Hayashi admet vouloir s’inspirer du caractère avant-gardiste des institutions européennes en faveur de la parité : « Je pense que le Japon cherche à s’aligner sur le niveau de féminisation des disciplines scientifiques en Europe. Nous souhaitons coopérer avec le CNRS et nos partenaires européens, notamment en matière d'amélioration de l’équilibre entre les sexes dans les processus décisionnels et les institutions de recherche, et d’intégration de la dimension de genre dans le contenu de la recherche et de l'innovation ».
Amérique latine : outiller les dispositifs de coopération
De l’autre côté du Pacifique, en Amérique latine, si le taux de féminisation des sciences est meilleur qu’au Japon – allant de 18 % de femmes au Chili à 33 % en Argentine et 37 % au Brésil –, les entraves y sont toujours présentes. C’était précisément l’objectif de l’observatoire européen Gender-STI, auquel contribuaient jusqu’à son arrêt en 2023 le CNRS et quatre établissements latino-américains1 , dont l’université de São Paulo (USP), partenaire du CNRS dans le cadre d’un autre IRC. Comme l’explique Genoveva Vargas-Solar, chargée de recherche au CNRS au sein du Laboratoire d'informatique en image et systèmes d'information2 et membre de ce projet, il s’agissait « d’identifier les aspects du modèle actuel de production scientifique qui freinent ou découragent les femmes à envisager une trajectoire professionnelle durable, incluant des études de master, un doctorat et une carrière en recherche ». Les établissements latino-américains étaient en effet particulièrement désireux de se rapprocher de l’Europe, en particulier de l’Espagne, continent considéré à la pointe de la parité entre les femmes et les hommes. C’est qu’à la différence de la plupart de leurs collègues européennes, il est fréquent pour les scientifiques latino-américaines d’avoir un enfant dès leurs études, par ailleurs plus longues qu’en Europe, la maternité représentant alors un frein supplémentaire à la mobilité internationale. Pour y remédier, Gender-STI a « dans les faits implémenté une check list pour le montage de programmes de collaboration scientifique à l’international » afin d’y intégrer systématiquement la question de la parité, explique Genoveva Vargas-Solar.
- 1Le Red Argentina de Género, Ciencia y Tecnología en Argentine, le Red Nacional para Investigación y Educación de Chile au Chili, l’Instituto Tecnológico y de Estudios Superiores de Monterrey au Mexique et l’USP.
- 2CNRS / Insa Lyon / Université Claude-Bernard Lyon-I / École Centrale de Lyon / Université Lyon-II Lumière.
Ainsi, en plus des statistiques collectées, Gender-STI a concrètement outillé les institutions partenaires d’instruments favorisant la parité. Désormais « les nouveaux accords de coopération scientifique visent autant que possible la parité dans la gouvernance des work packages », garantit la chargée de recherche. Un observatoire de l’égalité femmes-hommes, le projet SPIDER-EULAC, auquel participe la MPDF, continue de suivre ce sujet en Amérique latine.
Afrique : rendre visibles les chercheuses
En Afrique, où le CNRS multiplie les coopérations depuis le lancement de sa feuille de route pour une coopération pluriannuelle avec l’Afrique en 2023, la proportion de femmes dans les carrières scientifiques est en pleine croissance, atteignant jusqu’à 30 % des effectifs dans certains pays. Directeur du nouveau bureau du CNRS à Nairobi, Benoit Hazard constate « un vaste mouvement d’engagement des femmes dans les carrières scientifiques en Afrique, doublé d’une évolution sensible de leur place dans les universités : les femmes accèdent de plus en plus à des postes de hauts niveaux, comme les présidence d’université, les fonctions ministérielles ou encore les organisations scientifiques panafricaines ». Toutefois, ce vivier féminin hétérogène masque une forme de relégation à certains domaines : leur visibilité dans les postes de diplomatie scientifique et les programmes de recherche appliquées liées aux questions de société et de développement, notamment dans les sciences de l’ingénierie, se fait au détriment d’une présence forte dans le domaine de la recherche fondamentale. À cela s’ajoute un facteur sociologique : dans les carrières scientifiques féminines, il est commun « d’avoir des enfants – et qui plus est la charge éducative – et de poursuivre un doctorat en parallèle. Ce facteur impacte fortement les parcours professionnels des femmes qui prennent beaucoup plus de temps qu’en Europe », note le directeur du bureau kenyan.
« La question de la place des femmes dans les carrières scientifiques est très vite arrivée sur la table du bureau de Nairobi depuis sa création », précise Benoit Hazard. Parmi les premières actions du bureau figuraient la cartographie de parcours scientifiques féminins, la mise en lumière de scientifiques africaines et un cycle de conférences visant à renforcer les capacités en recherche fondamentale des 44 bénéficiaires du programme panafricain Arise1 , parmi lesquels un tiers de femmes. Benoit Hazard interroge également la place des mobilités étudiantes. Lui-même remarque que les doctorants financés dans le cadre des Joint Research Programmes sont plutôt des doctorants français, et non des doctorantes ; à l’inverse, beaucoup de doctorantes africaines parties en Europe décrochent, soit en restant sur le Vieux Continent, soit en abandonnant leur thèse. « Or, cette jeunesse qu’on forme de manière paritaire est la condition du partenariat scientifique équilibré entre le CNRS et ses collaborateurs africains », soutient le directeur du bureau.
Canada : s’inspirer de politiques réussies
Malgré son bon taux de féminisation, l’Europe peut elle-même s’inspirer de pays encore plus avancés qu’elle en matière de parité. Et, pour ce faire, tourner son regard outre-Atlantique, en direction du Canada, dont deux institutions scientifiques2 étaient elles aussi membres du projet Gender-STI. Les efforts déployés pour faire progresser la place des femmes en science y furent couronnés de succès. En 2009, les femmes n’occupaient que 24 % des chaires de l’université d’Ottawa ; aujourd’hui, elles en président 51 %. Directrice du bureau du CNRS à Ottawa, Andréa Dessen s’émerveille de voir dans le Canada « un vrai modèle non seulement pour l’égalité femmes-hommes, mais aussi pour l’intégration des questions de sexe et de genre dans la science ». Elle avance comme chiffres qu’avant 2010, moins de 20 % des recherches fondamentales des instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), membre de Gender-STI et d’un autre projet avec le CNRS, Gender-Net Plus, intégraient ces questions, alors qu’aujourd’hui elles infusent dans plus de 90 % des recherches de l’agence de financement fédérale des recherches en santé.
Surtout, le Canada va au-delà de la seule question du genre et affiche des « objectifs volontaristes de représentation non seulement des femmes, mais aussi des minorités visibles (non-blanches et non-autochtones), des peuples autochtones et des personnes en situation de handicap ». À ce titre, Andréa Dessen encourage fermement l’Europe et le CNRS à « s’inspirer du Canada pour les promotions de diversité, d’équité et d’inclusion ».
Féminiser les sciences a donc des répercussions qui vont bien au-delà des seules disciplines scientifiques. Ces politiques volontaristes ruissellent sur les sociétés concernées. Ou, pour reprendre les mots de la déclaration d’engagement des champions européens de l’égalité : « Dans le contexte actuel, la science est plus importante que jamais pour relever les défis mondiaux auxquels nos sociétés sont confrontées. La réalisation d’une égalité inclusive entre les hommes et les femmes dans l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation est un élément clé pour relever avec succès ces défis ».
Les onze signataires :
- Centre national de la recherche scientifique (France)
- Consejo Superior de Investigaciones Cientifícas (Espagne)
- INSTRUCT-ERIC (Europe)
- Karolinska Institutet (Suède)
- National University of Ireland, Maynooth (Irlande)
- University of Medicine and Health Sciences (Irlande)
- South East Technological University (Irlande)
- Trinity College Dublin (Irlande)
- Technological University of the Shannon (Irlande)
- Uniwersytet Gdański (Pologne)
- Rovira i Virgili University (Espagne)