Vers une utilisation responsable des terres rares tout au long de leur cycle de vie : résultats de l’expertise scientifique du CNRS

Matière

 

  • L’expertise scientifique collective (ESCo) Terres rares est une initiative du CNRS qui vise à établir l’état des connaissances scientifiques sur l’utilisation des terres rares tout au long de leur cycle de vie.
     

  • Trois approches sont étudiées : réduire leur utilisation par leur substitution dans les matériaux ou par une sobriété d’usage des produits qui en contiennent, les recycler en exploitant la « mine urbaine » et enfin les extraire autrement par des approches plus durables et des sources d’approvisionnement alternatives.
     

  • Réalisée par un collectif pluridisciplinaire d’une trentaine de scientifiques, cette expertise permet ainsi de fournir des éléments scientifiques solides pour éclairer le débat et la décision publics. 
     

Considérés comme des métaux essentiels dans de nombreux domaines tels que l’énergie, la mobilité, le numérique, la défense ou la santé, les terres rares1  font l’objet d’une attention particulière dans un contexte international d'approvisionnement sous tension. Face à ces défis, le CNRS a lancé en janvier 2024, une expertise scientifique collective interrogeant les usages de ces métaux, selon une approche d’économie circulaire. Les résultats de cette expertise sont présentés ce 14 novembre lors d’un colloque public. Ce travail, qui s’appuie sur 4 100 articles scientifiques, vise à dresser une lecture intégrée des connaissances scientifiques disponibles sur les défis et les opportunités d'une utilisation responsable des terres rares.

  • 1Les terres rares désignent 17 métaux du tableau périodique des éléments chimiques, aussi appelés « éléments de terres rares ». Les terres rares ne présentent pas toutes la même abondance naturelle ni les mêmes propriétés, bien qu’elles soient toujours associées dans les minerais du sous-sol géologique donc co-extraites.

Souvent confondus avec les métaux rares, les terres rares ne sont pas rares et comptent parmi les métaux critiques sans s’y superposer. Les terres rares se retrouvent dans un vaste panel d’usages et d’enjeux stratégiques. Présentes dans nombre de dispositifs électroniques miniaturisés, nécessaires par exemple à l’imagerie médicale ou aux outils de l’industrie pour la fabrication d’une grande variété de produits, elles constituent également un maillon clé de la transition énergétique. Alors que 90% de la capacité de raffinage de terres rares est aujourd’hui maitrisée par la Chine, la France ne dispose d’aucun gisement dans son sous-sol qui soit exploitable à court terme. L’expertise collective a ainsi pris le parti d’analyser systématiquement la littérature scientifique en partant des usages et en questionnant la possibilité d’une utilisation responsable des terres rares, comme un potentiel pilier de la politique de sécurisation. Un prisme décliné sous trois aspects : 

  • Réduire l’utilisation des terres rares par leur substitution dans les matériaux ou par une sobriété d’usage des produits qui en contiennent,
  • Recycler en exploitant la « mine urbaine2  »,
  • Extraire autrement en passant par des procédés plus respectueux de l’environnement, des sources d’approvisionnement alternatives et une meilleure prise en compte de la dimension sociale de l’extraction.
     

Réduire l’usage des terres rares 

Les processus d’extraction des terres rares et les déchets représentent un risque avéré pour l’environnement, notamment autour des zones fortement contaminées, comme les mines ou sites de transformation. De ce fait, les activités d’extraction et de transformation créent localement de fortes tensions sociales, notamment en raison des risques sanitaires et environnementaux. 

Les leviers de réduction de la consommation de terres rares sont multiples. Ils incluent la substitution des terres rares par d’autres éléments moins critiques dans les matériaux, l’amélioration de l’efficacité des dispositifs qui les utilisent, ainsi qu’une approche de sobriété d’usage. Cette dernière peut par exemple s’inscrire dans le cadre de l’économie de la fonctionnalité, qui privilégie l’usage plutôt que la possession en mutualisation des équipements, afin de réduire la demande en matières premières tout en maintenant le service attendu. 

Ainsi, les résultats de l’expertise scientifique collective mettent l’accent sur le potentiel de réduction d’utilisation des terres rares dans les matériaux et dispositifs. Dans le cas des aimants permanents, la littérature montre qu'il existe des procédés pour réduire la quantité de certaines terres rares critiques, dont l’approvisionnement en France et en Europe est particulièrement sous tension. Mais utiliser des aimants sans aucune terre rare nécessiterait de multiplier de quatre à cinq fois leur masse pour conserver les mêmes performances. Enfin, à l’échelle des machines utilisant ces matériaux, une voie de réduction très documentée consiste à travailler sur la disposition des aimants permanents dans la partie mobile du moteur, et sur leurs combinaisons avec des aimants sans terre rare ou avec des technologies sans aimant.

Le règlement européen pour les matières premières, auxquelles appartiennent les terres rares, priorise la sécurité stratégique des industries européennes par rapport aux leviers de sobriété. Plusieurs travaux appellent à une prise en compte renforcée de ces considérations de sobriété – déjà présentes dans la législation française et européenne – dans la règlementation relative aux matières premières critiques, l’économie circulaire participant directement à la sécurisation de l’approvisionnement. La création d’une préférence européenne dans les marchés publics est également questionnée par la littérature.
 

Recycler les terres rares

Le recyclage apparaît comme une alternative de production plus responsable des terres rares et pourtant, son taux stagne à l’échelle mondiale avec moins de 1% de terres rares recyclés. Cependant, les analyses de cycle de vie et de flux de matières montrent que les procédés de recyclage ont une empreinte carbone inférieure à celle de l’extraction primaire. Des technologies innovantes de pré-traitement et de procédés métallurgiques et le développement de boucles courtes de recyclage permettent de réduire significativement l’impact environnemental et affichent de hauts rendements de récupération. La faisabilité technique est avérée, le potentiel du recyclage est important et les déchets d’usage sont une ressource secondaire crédible, plus responsable. 

La quantité de terres rares contenues dans les aimants permanents (moteurs de véhicules électriques, éoliennes marines, déchets électroniques, etc.) produits en 2020 correspondrait à un quart de la production minière de terres rares cette même année. Mais, le potentiel de recyclage dépend de la concentration des terres rares dans les matériaux et du nombre d’objets à collecter pour récupérer ces matériaux. Il est par exemple nécessaire de collecter 2 000 000 téléphones pour récupérer l’équivalent de la quantité de terres rares d’une seule éolienne offshore. Une contrainte logistique et économique pour leur collecte. Si le droit relatif à l’économie circulaire et à la gestion des déchets s’applique en ce qui concerne le recyclage de produits contenant des terres rares, aucune législation n’oblige spécifiquement à faire mention de la présence de ces dernières dans les produits, ni à indiquer les actions spécifiques à réaliser à leur encontre en matière de recyclage. Alors que la littérature montre que l’action publique aurait un rôle déterminant à jouer dans la structuration d’un marché du recyclage, le cadre juridique et les incitations politiques ne permettent pas encore une stabilité de la filière.


Extraire les terres rares autrement 

Si la France dispose de ressources minérales marines qui pourraient constituer une source d’approvisionnement en terres rares, d’importantes incertitudes persistent quant à leur quantification, la rentabilité économique de leur extraction et ses difficultés techniques. Surtout, l’ampleur des dommages serait telle qu’il est impossible de savoir si les fonds marins pourraient retourner à l’équilibre après une exploitation. Les déchets miniers et industriels sont estimés être le potentiel le plus important de sources de terres rares en France et en Europe. Bien que les concentrations en terres rares soient souvent inférieures à celles des gisements primaires, les volumes importants de ces stocks en font des sources potentielles intéressantes pour la production de terres rares, notamment par des approches zéro-déchets décrites dans la littérature. Par exemple la quantité de terres rares contenues dans les résidus de l’extraction de l’alumine depuis la bauxite (boue rouge) ou dans les cendres de charbon (issues des centrales à charbon) produits en 2020 est du même ordre de grandeur que la production mondiale extraite depuis les mines cette même année. Cependant, les données disponibles sur ces stocks et leurs propriétés restent limitées. Des procédés extractifs plus innovants et plus respectueux de l’environnement comme l’intégration de bioprocédés utilisant des micro-organismes ou des plantes sont à l’étude et en développement à l’échelle des laboratoires.

L’expertise scientifique s’est également penchée sur l’évolution du droit minier. La littérature analyse comme trop souple le cadre des exigences de responsabilité sociale et environnementale des entreprises minières. Néanmoins, elle souligne que le droit français et européen évolue vers plus d’exigence avec le « devoir de vigilance », qui impose concrètement aux entreprises une extraction plus responsable des minerais tout au long de la chaîne de valeur, y compris dans des pays tiers. De plus, des cadres réglementaires existent pour obliger les entreprises à divulguer leurs impacts environnementaux et sociaux. Cela peut se traduire par l’utilisation d’outils technologiques fournissant des données publiques. En ce qui concerne l’acceptabilité sociale des mines, la littérature rappelle que les contestations émergent de l’absence d’un débat préalable sur l’opportunité même du développement de nouvelles mines. Ces contestations ne sont pas résolues par de simples démarches pédagogiques ou compensatoires destinées aux populations locales affectées.

Pour consulter la synthèse en ligne, cliquez ici


Pour lire l'article du CNRS, cliquez ici  

Référence :

Vers une utilisation plus responsable des terres rares tout au long de leur cycle de vie : Quelles perspectives en termes de sobriété, recyclage et mode de production ? Synthèse de l’Expertise Scientifique Collective. CNRS. 2025.

Pilotes scientifiques :

Pascale Ricard, CNRS ; Clément Levard, CNRS ; Romain Garcier, ENS de Lyon, en mission d’expertise pour le CNRS.

En plus des trois pilotes, les principaux experts et expertes qui ont contribué à ce travail : Kevin Bernot, Bénédicte Cenki-Tok, Marie Forget, Olga Fuentes, Laure Giamberini, Emilie Janots, Brice Laurent, Gilles Lhuilier, Frédéric Mazaleyrat, Stéphane Pellet-Rostaing, Guido Sonnemann, Eric Van Hullebusch, Fanny Verrax et Alexandre Violle. 

  • 2Les « mines urbaines » représentent les déchets des dispositifs électroniques, des éoliennes marines, etc. Elles sont au cœur de stratégies industrielles. Leur reconnaissance en tant qu’enjeu de souveraineté nationale pose la question de savoir si les mines urbaines peuvent être à la base d’une économie circulaire à grande échelle.

Contact

Estelle Torgue
Attachée de presse CNRS